En ce Jeudi-Saint, nous communions à ce pain. C'est le pain de la Pâque, le pain pris par le Christ dans le repas de cette nuit pour en faire le sacrement de son Corps et de son Sang. C'est le pain azyme qui n'a pas levé, que Dieu donne aux enfants d'Israël comme mémorial de leur libération. C'est le mémorial de la Pâque, au point que tous ceux qui consomment cet Agneau immolé au Temple, revivent la Pâque, sortent à nouveau d'Egypte. Manger l'Agneau, c'est manger la Pâque. Manger ce pain et boire à cette coupe, c'est recevoir ce qui est donné pour que tous aient la vie.
Vous le savez, ce pain et ce vin, c'est le Corps et le Sang du Christ. Déjà dans le Séder, le repas rituel juif, l'arrivée du Messie est signifiée au moment où l'on consomme en silence le pain tenu caché et la dernière coupe, celle du Messie justement. Par ces paroles « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », le Christ en a fait le sacrement de sa présence : celle qui vient de cette nuit de la Cène, ou celle qui vient de la fin des temps. Je vous propose de lui appliquer ce que l'Evangile dit du pain, pris, béni, rompu et donné. Il est Celui qui est pris du milieu des hommes, qui habite parmi nous. Il est Celui qui est béni du Père, consacré par l'Esprit qui est sur Lui, béni, consacré, glorifié par le Père comme le rapporte les Evangiles où sa vie suinte les œuvres du Père comme une huile qui déborde. Il est Celui qui est rompu, s'abaissant dans l'incarnation rédemptrice, dans la mort et la mort de la croix, homme de douleurs, agneau immolé qui répond sa vie. Il est Celui qui est donné à ses disciples qui nous le donnent aujourd'hui. Il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime.
Ce soir, nous commémorons l'institution de l'Eucharistie qui est précisément ce sacrement de la présence du Corps et du Sang du Christ. Il est donné à toute l'Eglise, pour que chacun de nous en fasse, non seulement sa nourriture, mais également la règle de sa vie baptismale. Comment cela ? Reprenons ces quatre verbes du récit. Chacun de nous peut se découvrir pris, béni, rompu et donné. Pris de façon personnelle, c'est-à-dire appelé chacun par son nom, discerné, élu, aimé. Béni, lavé et consacré dans les eaux du baptême et par l'huile de la confirmation, objet de la sollicitude du Père. Rompu à notre péché, à notre amour-propre, désincarcéré de la gangue qui emprisonne nos capacités à aimer et à pardonner. Donné là où nous sommes, pour que le monde croie et qu'il ait la vie.
Ce soir, il vous est proposé ce soir de regarder l'Eucharistie, avant d'y communier dans la nuit sainte. En la regardant vous pourrez peu à peu devenir ce que vous recevez membre du Corps du Christ. Toute votre vie peut devenir eucharistique si vous acceptez dimanche après dimanche, et plus si affinité, de vous unir à ce pain pris, béni, rompu et donné. Comment vous unir, par cette participation intérieure, cette présentation intérieure de vous-même qui vous associe à cette offrande du Christ dans ce pain et ce pain. Le voici, ce sacerdoce baptismal dont la liturgie du baptême nous parlera samedi.
Pour l'exercer, tous nous avons besoin des ministres choisis par le Christ. Ce jour, ce soir est également l'anniversaire de l'institution du sacerdoce apostolique. Les prêtres ont renouvelé à la messe chrismale les promesses de leur ordination, en mémoire de ce jour où ils sont nés. « Vous ferez cela en mémoire de moi », c'est la consigne intimée par le Christ à ses apôtres et à leurs successeurs. Dans la liturgie de l'ordination, l'évêque leur a demandé de « prendre conscience de ce qu'ils feront, de vivre ce qu'ils accompliront et de se conformer au mystère de la croix ». Vivre ce que nous accomplissons. Là encore, l'Eucharistie nous donne la clé. Ils sont pris du milieu des hommes, pris dans une histoire personnelle, une culture, une formation, des qualités, des défauts. Ils sont bénis non seulement par l'amitié du Christ qui les prend pour être avec lui, mais par une consécration qui les fait agir en sa personne même. Ils sont rompus par leur célibat, par leur ministère, dans leur volonté propre, leur exercice de l'autorité. Enfin, ils sont donnés. Ils vous sont donnés pour être à votre service et celui du bien commun de toute l'Eglise. Ils vous sont donnés pour votre communion. Ils ne sont pas des miroirs de la communauté, mais plutôt des icônes du Christ qui se donne à vous, ou mieux encore : des sacrements de la charité pastorale du Christ qui vous donne de vivre la charité fraternelle. Leur sacerdoce ministériel est au service de votre sacerdoce baptismal.
Dans un instant, cette condition de serviteur de la charité de Dieu pour vous va nous être rappelée par ce geste d'une haute portée spirituelle qu'est le lavement des pieds. Le Christ nous sauve en s'abaissant. Ce soir, ce n'est pas un acte du passé. C'est aujourd'hui qu'il se dépouille dans l'Eucharistie et dans le lavement des pieds. Là est la source de l'amour et de la charité. Il est grand le mystère de la foi !
Sur notre marche, nous voici avec cet aveugle de Jérusalem. Nous lisons cet Evangile en Carême, dans notre progression vers Pâques. Le fait du miracle est déjà éloquent. Un aveugle recouvre la vue. Il ne voyait pas, il voyait. Comme celui de Jérico, comme les paralytiques, les lépreux, les sourds et muets, comme tant d'autres, il est guéri, comme rétabli dans sa beauté première, dans son intégrité de créature créée et aimée de Dieu. Le Christ montre sa puissance de créateur. Comme dans le récit symbolique de la création, la vie surgit à partir de la boue, la glaise dont sort Adam qui en portera désormais le nom.
Il les enseignait comme quelqu’un qui a l’autorité, et non pas comme les scribes. Car il ne disait pas: «Le Seigneur dit ceci», ni: «Celui qui m’a envoyé dit cela»; il parlait en son nom, lui qui primitivement avait parlé par les prophètes. Il y a une nuance entre les expressions: Il est écrit et: Le Seigneur dit cela; mais il est encore différent de dire: En vérité, je vous le dis. Voyez par exemple: Il est écrit dans la Loi: «Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas l’adultère.» Il est écrit; mais par qui? Par Moïse, Dieu le faisant son mandataire. Si cela est écrit de la main de Dieu, comment oses-tu dire, toi: En vérité, je vous le dis, dans la mesure où tu n’es pas le premier à avoir formulé la loi? Nul n’est habilité à changer la loi, hormis le roi en personne. Mais est-ce le Père ou le Fils qui a donné cette loi? Pour moi, c’est équivalent. Si le Père a donné cette loi, c’est également lui qui la transforme; or le Fils est son égal, lui qui change ce que l’autre a ordonné. Que ce soit lui qui ait donné la loi ou qui l’ait transformée, il faut une égale autorité pour donner et pour modifier: nul ne peut le faire hormis le roi.