Ce matin, malgré l'heure précoce, malgré la météo hivernale, nous voici plongés dans lumière de Pâques. C'est la Pâque du Seigneur. C'est le jour où le Christ surgit de la mort. C'est le jour où cette résurrection dément tout ce que l'expérience humaine connaissait depuis des siècles. Jusqu’alors, on naissait, et plus ou moins tôt, on mourrait. Et aujourd’hui, il y a du nouveau. Quelqu'un revient de chez les morts. Il se fait voir. Il se laisse toucher. Il parle, mange, fréquente même longuement ses apôtres. Et, comme le dit la suite de l’Evangile, il remonte au Ciel pour une nouvelle présence, intérieure et spirituelle, sacramentelle en attendant son retour dans la gloire.
Ce matin, l'Evangile que nous venons d'entendre nous fait courir avec Pierre et l'autre disciple, Jean sans doute. Nous courrons vers le tombeau à la seule annonce que la pierre a été roulée. L'annonce de Marie a de quoi déroutée. Comment cette lourde pierre qui sépare le monde des vivants et des morts, le monde visible du monde invisible, comment cette pierre pourrait elle être déplacée ? Chaque chose à sa place, après tout…
Une frontière a été franchie en ce matin de Pâques, alors qu'un énième printemps baignait Jérusalem, alors que le lendemain du sabbat marquait la reprise du travail, alors que les vivants reprenaient leurs occupations après la fête de la Pâque.
Une frontière a été franchie ou plutôt déplacée : quelqu'un est venu de chez les morts. Il se manifeste aux vivants. Quelqu'un qu'on avait laissé dans ce monde invisible, dans les ténèbres du tombeau, est revenu dans ce monde visible, nimbé de lumière, glorieux et triomphant. Les femmes le voient, les disciples l'entendent et le touchent. La Vie s'est manifestée. Quelle merveille le Seigneur fit pour nous. Nous n'en avons pas fini de nous laisser être éblouis. 50 jours ne seront pas de trop. 50 ! 10 de plus qu'en Carême.
La Vie s'est manifestée. Mais remarquez bien qu'en ce matin, l'Evangile est très sobre. La manifestation du Christ ressuscité est plus que discrète. Il n'est pas encore là. Pas de paroles, ni d’apparition, ni rien d’autre. Il faut attendre la suite du texte et l'apparition à Marie.
Dans l’Evangile que nous venons d’entendre, il brille par son absence. On voit le tombeau ouvert, on voit même les linges à leur place. Ils sont affaissés comme un ballon qui a libéré son contenu. Le Christ semble absent, alors qu'une phrase décisive doit nous interroger : "Il vit et il crut". Le disciple qui entre, se saisit du peu de visible disponible pour conclure à l'invisible. Son regard scrute un visible pauvre et indigent ; et il plonge dans un invisible abyssal.
Voici donc une autre frontière déplacée. Pour croire, il ne suffit pas de se saisir du maximum du visible possible. Un tombeau ouvert, des linges affaissés, un corps absent. Un peu, si peu !, de visible suffit pour entrer dans l'invisible. Pas dans l'absurde, ni dans l'irrationnel. Dans l'invisible. C'est une grande leçon de la foi, pour laquelle le pape Benoît XVI avait voulu que cette année soit consacrée. La foi nous fait entrer dans un invisible qui, sans elle, nous est inaccessible. Alors que nos détracteurs nous disent souvent que la foi nous rend inaccessibles aux certitudes, à la science, au visible.
Par la foi, nous croyons que le Christ est ressuscité, parce que nous croyons au témoignage de ceux qui nous ont précédés et qui ont donné foi aux premiers témoins du Christ ressuscité. Pas besoin pour chaque individu, pour chaque génération de l’expérimenter de façon. La foi nous fait plonger dans cet invisible, qui est immense.
Par la foi, nous croyons que nos défunts vivent dans l'on visibles et que nous les reverrons. Par la foi, un monde invisible s'ouvre à nous. Celui de la profondeur de l'amour et de la paix. Par la foi, toutes les frontières sont déplacées. Nous supportons les pénibles, nous aimons nos ennemis. Les petits et les souffrants sont nos maîtres, nous lavons les pieds de ceux que nous servons.
Par la foi, nous croyons que Dieu est le Maître de l’impossible. Maître de la vie qui resplendit et de la mort qui est morte. Maître de nos vies, et maître de notre vie de communion avec Lui.
De la messe de ce matin, nous repartirons comme Pîerre et Jean. N’ayant pas vu grand-chose de nos yeux. Mais notre cœur aura été brûlant de ce que notre foi aura percé de l’invisible. Dans un instant, le prêtre va nous présenter le Corps du Christ. Là tout est voilée. Mais la foi franchit cette frontière et nous dirons Amen, parce qu’à notre tour, nous verrons et nous croirons.
C’est ce que dit Jésus à ses disciples au moment si inédit de ce geste du lavement des pieds. Lui le Maître et le Seigneur, lui le Fils de Dieu s’abaisse, se fait esclave, serviteur. Pierre ne comprend pas, pas tout de suite, tout comme lui et la plupart des disciples ne comprennent pas qu’il lui faille être arrêté, souffrir, mourir avant de ressusciter d’entre les morts. Comment le Maître et le Seigneur serait-il serviteur ? Comment serait-il souffrant ?
S’il est une parabole (parce que c’est une parabole et non un récit historique, encore que… pourquoi pas ?) que nous connaissons bien, c’est celle-ci. Celle du fils prodigue, appelé encore du fils perdu, ou du père prodigue. Les images viennent tout de suite, et le tableau de Rembrandt, les deux mains du père presque aveugle d’avoir trop attendu et trop pleuré, les deux mains l’une plus masculine, plus forte, l’autre plus féminine plus délicate et miséricordieuse… Bref on sait déjà tout.