C'est le dernier dimanche de l'année liturgique. Les lectures de cette fête du Christ Roi de l'univers nous donne comme un portrait du Roi : il est le Fils de l'Homme vu prophétiquement par Daniel. Il est l'Alpha et l'Omega, celui qui est, qui était et qui vient, dans la révélation faite à Jean. Il est le Roi qui se dévoile à Pilate. Le Christ se donne à voir en cette clôture de l'année. Alors que nous sommes habitués aux commencements, ou au cheminement, aujourd'hui a la saveur où un accomplissement est à voir et à contempler.
Cette contemplation ne va pas de soi, parce que les lectures semblent nous faire obstacle, notamment par les contrastes qu'elles dessinent.
Le premier contraste est celui auquel nous ne nous habituons pas si facilement. D'un côté Daniel nous présente le Fils de l'Homme, resplendissant dans les nuées du ciel, à qui est donné domination, gloire et royauté. De l'autre, le dialogue entre Jésus et Pilate qui présente le Christ dans sa Passion, avec les questions dérisoires et décalées d'un Pilate pressé d'en finir avec ce mauvais procès intenté par les Juifs. Drôle de Roi qui sera mis en croix dans quelques heures. Et pourtant, Jésus ne répond pas à la question « tu es roi des Juifs ? », mais à la seconde, « alors tu es roi ? ». Il montre par là que sa royauté est toute autre.
Le deuxième contraste est précisément sur les termes de cette royauté. Royauté sociale ou royauté eschatologique ? Royauté dans l'ordre temporel ou royauté dans l'ordre céleste ? La question mérite d'être posée. En 1925, le Pape Pie XI a instauré cette fête le dernier dimanche d'octobre, parce que selon lui, « Si les hommes venaient à reconnaître l'autorité royale du Christ dans leur vie privée et dans leur vie publique, des bienfaits incroyables - une juste liberté, l'ordre et la tranquillité, la concorde et la paix -- se répandraient infailliblement sur la société tout entière » (encyclique Quas primas, n° 14). L'importance pastorale et l'intention de l'Action Catholique furent de sortir la foi de la sphère privée pour lui donner une existence sociale, dans les cités, dans le monde du travail, dans la politique, dans la vie sociale au sens large. Au long du XXème siècle, les projets n'ont pas manqué, de quelque couleur qu'ils aient été. Pourtant, la réforme liturgique de 1969 a déplacé cette fête au dernier dimanche de l'année liturgique, comme un sommet eschatologique. Quelle cette royauté : celle du Royaume de Dieu déjà là, à travers notre œuvres de justice, d'amour et de pax, ou celle à venir que le Christ instaurera à la fin de l'histoire humaine, comme nous le voyons sur les tympans de Vézelay ou d'Autun.
Le troisième contraste est lié à la figure même du Roi. Il y a dans l'année A un texte du premier livre de Samuel où le prophète fait un piètre tableau de la figure royale que les Hébreux demandent pour eux. La Bile rejoint notre culture contemporaine, ou française, qui se méfie de la manière dont les rois, ou les gouvernants au sens large, usent et font sentir leur pouvoir. De l'autre côté, il y a ce titre que le Christ jésus prend à son compte : « je suis roi », non pas roi des Juifs, non pas concurrent politique de César, ni chef d'une armée, mais roi, « venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ».
Finalement cette fête de la fin parle plus du Roi que du Royaume. Le Temps ordinaire que nous congédions ce jour nous aura fait œuvrer, peiner certaines fois, en vue de la croissance d'un Royaume de justice, d'amour et de paix (comme le chantera la préface dans un instant). Temps de la moisson et de la lente maturation, manifestée par le vert des ornements, en attendant le blanc chaud et lumineux de la moisson finale.
Ces temps sont les derniers. Nous voici comme au terme de l'histoire, nous qui sommes si souvent habitués aux commencement, avec leur saveur et leur promesse. Non, nous voici au temps de l'achèvement, où il s'agit de remettre l'œuvre de nos mains au soir d'une année en la regardant telle qu'elle fut et sans pouvoir la changer. Au terme d'une année, comme au terme d'une histoire humaine, il s'agit de tout remettre à Celui par qui, avec qui et en qui nous oeuvrons.
Sa présence ne vient pas que du lointain passé de Galilée ou de Jérusalem. Sa présence vient de la fin, des temps à venir qui justement viennent à nous aujourd'hui, et encore plus en cet instant où l'Eucharistie, sacrement qui vient également de la fin vient à nous. Ce pain, ce vin, ce sont les prémices du festin des Noces de l'Agneau, du banquet du Roi de l'Univers. Voilà qui est à recevoir et à contempler.