1. Chers amis, nous voici donc embarqués, tous ensemble, dans cette montée vers Pâques. Dans quarante jours, nous serons au seuil du mystère pascal, mourrant et ressuscitant avec le Christ. Largement et comme une mesure débordante, la grâce pascale inondera nos pieds au soir du Jeudi-Saint, elle illuminera nos visages au seuil de la Vigile pascale, elle nous rassasiera de son amour au matin de Pâques. Au long de ces quarante jours, grâce et avec tous les catéchumènes, nous allons nous y préparer activement.
2. Pour l'heure, nous nous mettons en route pour cette montée, avec finalement peu de bagages. L'Évangile du jour des Cendres semble n'en admettre que trois : l'aumône, la prière et le jeûne. Trois bagages qui sont là pour nous alléger dans cette montée à Jérusalem. Et même, ces trois bagages n'ont qu'une seule fonction : nous désencombrer de tout ce qui nous empêche d'accueillir la grâce pascale. Nous n'aurons pas trop que ces 40 jours pour ce vaste travail de désencombrement, avec ces seuls bagages. Si vous le voulez bien, c'est à propos du jeûne que je vous voudrais m'arrêter. Le message de Carême de Benoît XVI sera plus explicite encore.
3. Qu'est-ce que jeûner ? Jeûner, c'est se priver de tout aliment pendant un espace donné (une journée, une semaine...) ou encore ne manger qu'une seule fois par jour; c'est le sens du jeûne que demande l'Église pour deux jours de l'année: le Vendredi-Saint et le mercredi des Cendres. Concrètement, si vous avez déjà fait un repas ce midi, inutile de vous encombrer l'imagination (carpe farcie ou quiche aux deux saumons,...) pour ce soir. Le jeûne est donc différent de l'abstinence des vendredis de Carême (et même de tous les vendredis de l'année sous certains aspects) consiste à s'abstenir de certains aliments plus substantiels (ce qui est pratiquement défini pour la viande). Voilà le minimum défini par l'Église. Charge à chacun d'en faire sa loi et d'y ajouter ce qui lui semble approprié pour cette tâche de désencombrement.
4. C'est que le jeûne a quelque chose qui relève de l'expérience spirituelle et non pas de la thérapie de bien-être corporel ou de l'héroïsme. Il s'agit de se priver de nourriture pour être empli d'une nourriture spirituelle. Être en quelque sorte creusé pour manifester notre ouverture, notre disponibilité à ce que Dieu veut mettre en nous. Dans son message de Carême 2009, le pape Benoît XVI ajoute : "nous Lui permettons de venir rassasier une faim plus profonde que nous expérimentons au plus intime de nous : la faim et la soif de Dieu". Vous pourriez me dire que l'intention suffirait, que tout cela se passe entre Dieu et moi, et qu'il voit bien le fond de mon cœur et de mon âme. Ce serait perdre de vue trois aspects du jeûne.
5. Le premier est qu'il implique notre corps. C'est bien parce que notre personne unifiée, corps et âme, qui est en relation avec les autres et avec Dieu. Or, le corps est le support concret de ma relation aux autres qu'il est également le moyen de ma relation à Dieu. Tout passe par la médiation de notre corps : nos sentiments, nos émotions, nos paroles, nos actes, notre travail,... Et même notre relation à Dieu passe par cette médiation corporelle. Notre rapport à la nourriture exprime quelque chose de nous-mêmes, tous les psychologues le savent. Or, cela exprime également quelque chose de notre âme. C'est pour cela que le jeûne, comme pratique de pénitence corporelle, fait partie de cette médiation-là.
6. Le second élément va plus loin. C'est que notre jeûne est un acte de solidarité. Par notre jeûne, nous nous souvenons que des millions de nos contemporains n'ont pas de quoi manger. Dans cette société faite de consommation et de distraction, de pain et de jeux, nous dosons notre nourriture et notre boisson. Par là, nous expérimentons librement ce que tant d'hommes et de femmes subissent, quelque fois à quelques dizaines de mètres de nous. Et nous nous plaindrions de ces quelques efforts qui nous ouvrent corporellement à la souffrance d'autrui. Isaïe le prophétisait déjà quand il disait que le jeûne qui plaît à Dieu c'est de « partager ton pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres, vêtir celui qui est nu, ne pas se dérober devant celui qui est ta propre chair » (Is 58,7) Par le jeûne et le partage qui en découle, nous nous désencombrons de l'égoïsme, nous acceptons d'être le gardien de notre frère. Nous nous rendons sensibles à sa souffrance et nous proclamons l'injustice.
7. Le dernier élément est le sens ecclésial du jeûne de ce jour et du Carême : c'est l'ensemble de toute l'Église qui aujourd'hui se prive de nourriture pour s'entraîner au combat spirituel comme le disait la prière d'ouverture. Chacun est libre d'y ajouter un jeûne d'ordinateur, de voiture, de tabac, de paroles, que sais-je encore. L'aspect ecclésial de notre jeûne est à prendre à compte, parce ce Carême concerne toute l'Église qui veut revenir au Seigneur son Dieu de tout son cœur. Toute l'Église reçoit les Cendres sur son front en signe de pénitence, toute l'Église prie et toute l'Église jeûne. L'émulation communautaire est donc une aide puissante pour ce jeûne et ce Carême. C'est ensemble que nous serons renouvelés dans notre foi pascale. C'est ensemble que nous nous y désencombrerons. C'est ensemble que nous jeûnons aujourd'hui. Et déjà cela nous aide.