La lèpre est une plaie. Elle est une maladie handicapante où le malade est vite défiguré, où la vie part par petits bouts, par lambeaux. Elle est infamante. Elle est assortie d’une double peine. Les malades sont mis au ban de la société, à cause du risque de contagion. Dans nos villes, certains quartiers ont gardé le nom de cette réclusion : la maladière, la maladrerie, le lazaret, la madeleine,… Et en plus, dans le milieu biblique, la lèpre n’est pas seulement une maladie, elle est péché ou plutôt conséquence du péché. C’est dire que tout contact avec un lépreux est exclu. S’ils ne sont pas morts, les lépreux sont réduits à des demi morts.
Jésus sait tout cela. Il est suffisamment de son temps pour savoir de quelle punition les lépreux sont affligés ; il connaît leur souffrance, la mutilation progressive, l’exclusion, la mort sociale et physique annoncées. Sachant tout cela, il voit ces lépreux s’approcher de lui pour demander une guérison miraculeuse, puisqu’humainement elle est impossible. Dans une situation similaire précédente, Jésus avait touché le lépreux. Ici, de loin, il renvoie ces 10 lépreux se présenter au prêtre, comme le prophète Elisée avait de loin fait dire au général syrien Naaman, qui est lui aussi atteint de ce mail, d’aller se baigner dans le Jourdain.
Autrement dit, devant la démarche désespérée de ces malades qui ne savent plus à quel saint se vouer pour être guéris, Jésus appelle à la confiance. Sans savoir de quoi sera fait la démarche à Jérusalem, il les renvoie à Jérusalem. Il leur faut partir vers les prêtres et leur validation d’une éventuelle guérison. Comme Naaman qui ne sera pas de quoi le bain dans le Jourdain sera fait. Dans une obéissance docile et aveugle qui nous surprend, les voici partis.
Je dis ‘qui nous surprend’, parce qu’elle est aux antipodes de notre mentalité : pour faire, il nous faut comprendre. Or dans la Bible, Dieu demande souvent l’inverse : fais d’abord, tu comprendras ensuite. C’est ce que Dieu dit à Abraham : pars vers le pays que je t’indiquerai. Et on pourrait continuer avec les exemples des prophètes, des apôtres, et tant d’autres… Naaman n’a pas entré si facilement dans cette obéissance confiante à la parole du prophète. Et on ne sait rien de ce qu’il pouvait y avoir dans le cœur de ces lépreux de l’Evangile qui ont pris la route de Jérusalem. Confiance et obéissance. Confiance et docilité du cœur.
Mais la suite du texte nous parle d’une autre disposition. Un lépreux revient sur ses pas pour glorifier Dieu et rendre grâce au fils du Dieu vivant dans une attitude d’adoration. Il avait demandé la guérison. Maintenant, il rend grâce et remercie l’auteur du miracle. La guérison à distance n’empêche pas, bien au contraire, une gratitude dans la proximité. Il se rapproche de Jésus : il se prosterne aux pieds du Christ pour le remercier, comme les mages au début de l’Evangile de st Luc.
L’issue de la maladie si terrible de cet homme, ce n’est pas seulement la guérison, ce qui serait déjà très beau. L’issue de sa maladie, c’est la foi qui se traduit en gratitude. La guérison, pour quoi faire ? Ici le témoignage silencieux de cet homme est éloquent. Il rebrousse chemin, il se retourne, sa vie est désormais changée, altérée, presque convertie. Il ne lui importe pas seulement de goûter à la santé et à la beauté recouvrée. Il lui faut louer le Donateur de Vie, son Sauveur. Et cette conversion s’accomplit dans la louange de Dieu et la gratitude à celui à qui il doit la vie, parce qu’il est le Vivant.
La gratitude, mes amis. Voilà qui pourrait transformer nos vies, nos regards sur les autres et sur nous-mêmes. Notre quotidien pourrait passer ce dimanche au tamis de l’attitude de ce lépreux. Où en sommes du point de vue de la gratitude ? Gratitude à l’égard des autres dans les milles et unes relations qui tissent nos vies ? Comment et quand exprimons-nous notre gratitude dans les humbles actes de nos foyers, nos familles, notre paroisse ? Rassurez vous : je m’interroge moi-même sur cette vertu de gratitude.
Et qu’en est-il de notre gratitude à l’égard de Celui qui nous a créés et sauvés, de Celui qui nous mène vers les eaux tranquilles et nous fait revivre, qui nous conduit par de justes chemins pour l’honneur de son nom, de celui qui nous donne le pain de chaque jour, et qui nous nourrit de sa Parole et de son Eucharistie ? Qu’en est-il de notre reconnaissance à son égard et même de notre louange gratuite. Que tes œuvres sont grandes, Que soit béni le nom de Dieu, Je veux te louer ô mon Dieu à ton nom élever les mains. Les chants liturgiques ne manquent pas pour donner corps et à cette gratitude et à notre louange. Faisons et nous comprendrons.