Dans la tradition orientale, cette invocation porte un nom : on l’appelle la prière du cœur. On la répète, on la murmure, on la rumine. Elle habite le cœur, les pas et même la respiration. Je vous parle de cette prière qui est notamment ancrée sur cette parabole que le Seigneur nous laisse ce dimanche.
Deux hommes prient dans le Temple, avec 2 attitudes si différentes. L’un lève fièrement la tête, l’autre se tient à distance. L’un semble être en terrain conquis, l’autre semble avoir franchi le seuil d’une maison qui n’est pas tout à fait la sienne. L’un se flatte, l’autre s’humilie. L’un se hausse, l’autre s’abaisse.
Deux hommes, deux groupes différents : un pharisien et un publicain. Sans doute, la visée première de Jésus est de donner une leçon de vie intérieure à ce groupe des pharisiens auquel il appartient, des juifs pieux qui veulent pratiquer de façon si authentique et intérieure la Loi de Dieu.
Deux hommes, deux attitudes si opposées. Pour le pharisien, il aurait suffi de présenter ce qu’il faisait de bien : tout de même, il jeûne 2 fois par jour, et donne le dixième de ses revenus. Sauf que derrière la valeur de ses actions, se cache un cœur qui n’est pas en paix. Il est dévoré par le démon de la comparaison. Et avec un aplomb extraordinaire, il se jauge et se compare aux autres : « je ne suis pas comme les autres hommes ».
Voilà ce démon de la comparaison dans toutes sa splendeur. Se comparer, jalouser les qualités d’autrui, se réjouir de leurs échecs, jauger, peser, se sentir supérieur attaché à l’image si flatteuse et autocentrée de soi-même. Et surtout autosatisfait de lui-même. Voilà l’orgueil démasqué dans toute sa laideur. Centré sur lui-même, il est l’image de cette autoréférentialité dont le pape François nous a tant parlé.
L’orgueil est souvent invisible aux yeux de l’orgueilleux. Le problème pour lui, ce sont les autres, qui ne sont pas comme lui, qui ne sont pas ils devraient être, bref qui sont inférieurs. Alors même, l’orgueilleux est quelquefois étonné que ses qualités ne soient pas reconnues, qu’il ne soit pas admiré, et que les autres ne lui rendent pas le culte qu’il se rend à lui-même. Molière dans le Misanthrope ira jusqu’à faire dire à Alceste : « Il n'y a point de passion plus puérile que celle qui nous pousse à vouloir être admirés ».
Pour ce pharisien, la marge de progression comme on dit maintenant, ce sera l’intériorité. Les actes comptent certes oui, mais l’esprit qui les animent et les habitent important tout autant, sinon plus.
De ce point de vue, le publicain vit pleinement cette intériorité, alors que la vertu de ces actes laisse à désirer au point d’être mis au ban de la société juive de l’époque : c’est Zachée ou Matthieu, les collecteurs d’impôts, les collaborateurs de l’occupant romain.
L’humilité de ce publicain consiste à confesser que Dieu seul sera son salut, qu’il ne peut rien de lui-même, encore moins de ses actes. « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis ! ». Il n’a rien à offrir à Dieu. Il se présente à lui les mains et le cœur vides. Il n’a que l’amour et la confiance de son cœur indigent, bien plus pauvre que n’importe quel ange qui voit la face de Dieu.
Orgueil ou humilité ? Quelle voie allons-nous suivre ? Parce qu’il s’agit bien de cela : la suite du Christ est exigeante, nous le savions. Aujourd’hui, un miroir nous est présenté avec ces deux figures, ces deux attitudes. Sans doute, cohabitent-elles dans notre cœur. Le réaliser sera déjà un pas décisif. Deux précautions sur ce chemin :
La première sera de ne pas nous comparer à ce pharisien orgueilleux et autosuffisant : « je ne suis pas comme ce pharisien ». Il y aura plutôt à débusquer en nous l’orgueil massif ou subtil qui habite nos paroles et nos pensées, nos relations et nos projets. Soyons attentifs et dociles à ce que notre entourage peut nous renvoyer.
La seconde sera de demander l’humilité. St François de Sales affirme que l’humilité est un amour qui s’abaisse. Nous en avons l’exemple et le modèle chez tant de nos contemporains. Ce sont les saints de la porte d’à côté, que nous fêterons le jour de la Toussaint. Ce jour-là, nous réentendrons l’Evangile des Béatitudes, et la 1ère d’entre elles : heureux les pauvres de cœur, qui est le portrait du Christ lui-même : il lave les pieds de ses disciples, il prend la dernière place en mourant sur une croix.
Avec confiance et avec gratitude, nous saurons lui adresser cette prière du cœur : « Seigneur Jésus fils du Dieu vivant, prends pitié de moi pécheur ! ». Ce cri sera vrai. Il sera la prière de notre cœur indigent mais contrit. Il sera notre réponse d’amour à Celui qui peut tout.