« Que faut-il faire pour avoir la vie éternelle ? ». Depuis quelques dimanches, les paroles de Jésus sont exigeantes quand il nous parle des conditions pour le suivre. Il s’agit de voyager léger, se dépouiller, tout quitter, le suivre dans sa passion. Dans le passage proclamé à l’instant, nous entendons le récit de la rencontre avec cet homme riche. Vous noterez au passage qu’il n’est pas dit qu’il soit jeune, c’est un homme riche, point.
On peut dire que c’est une des belles rencontres que l’Evangile nous présente souvent. Restons dans ce beau face à face. Il y a d’abord cet homme, qui court vers Jésus, qui même se prosterne à ses pieds, dans un bel acte religieux, comme les mages à Bethléem, comme les lépreux que Jésus va guérir. Par cet acte humble, il confesse déjà la divinité de celui qu’enseigne il va interroger.
Parce que relevé, voici que la question fuse : « Que faut-il faire pour avoir la vie éternelle ? ». Question du plus profond de son désir. Je ne sais pas si vous vous l’êtes posée ce matin en vous levant. Pour Jean-Paul II, au début de son encyclique Veritatis Splendor sur la morale, c’est la question morale par excellence, posée à celui qui est le Bien, le Dieu Bon. C’est la question qui oriente toute une vie, et les actes de chaque jour. Avoir la vie éternelle, qu’on peut entendre tout à la fois la vie dans l’au-delà, et l’éternité, le bonheur dès maintenant. C’est le désir inscrit dans le cœur de toute personne d’une vie bonne.
Dans l’univers mental du judaïsme ancien, être riche, c’est une vie bonne, c’est le signe de la bénédiction de Dieu, tout comme avoir une grande famille et être en bonne santé. Nous le lisons à la fin du livre de Job, rétabli dans le bonheur. Les commandements viennent jalonner cette vie bonne, lui donner des lignes de touche, mais au centre les signes de la bénédiction de Dieu restent somme toute assez terrestres.
Jésus dit tout autre chose à cet homme désireux d’une vie bonne. D’abord, Jésus reprend la main si je puis dire. A la rencontre provoquée par cet homme riche, Jésus reprend l’initiative. Il lui répond par le rappel des 6 des 10 commandements, celle de la 2ème table, celle de l’amour du prochain. Certes, l’homme riche les observe, mais les autres, les 4 autres, ceux de l’amour de Dieu ? Il lui manque quelque chose, ou plutôt, il lui manque quelqu’un. Il lui manque le Dieu bon, qui donne la vie bonne, parce qu’elle n'est pas au bout de sa seule action, de sa seule volonté, de sa seule gesticulation.
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé », dit le poète Lamartine. Et que dire quand il s’agit du Dieu bon. Ce qui manque à cet homme, c’est que Jésus ne lui manque pas, disait quelqu’un au partage biblique d’hier matin. Jésus ne lui manque pas. Sa vie est lisse, bien construite, bien maîtrisée. Elle est réussie à ses yeux, peut-être même performante. Mais elle ne le satisfait pas, parce qu’il lui manque Celui qui peut lui donner la vie bonne, la vraie vie bonne, qu’il ne pouvait se donner à lui-même. Jésus lui manque, comme à Marthe qui s’agite pour bien des choses, alors qu’une seule est nécessaire.
En ce début de semaine missionnaire, voilà une question qui vient nous tarauder : Jésus nous manque-t-il ? Dans notre quotidien, dans nos paroles, dans nos relations, dans nos actes, la question se pose : jusqu’à quel point Jésus nous manque-t-il ? Ne nous sommes-nous pas trop habitués à vivre notre vie un peu en dehors de lui, de sa présence, de son action ? Certes, il y a le dimanche, et d’autres RDV personnels dans la semaine. Mais finalement, ce qui manque à notre prière, à notre témoignage joyeux de l’Evangile, à la saveur de notre vie que pourtant nous voulons bonne, ne serait-ce pas que Jésus ne nous manque pas tant que cela.
Nous comprenons l’appel au dépouillement qui a percé le cœur de tant de saints dans le passé à la lecture de cet Evangile : St Antoine du désert, Saint Augustin, St François d’Assise, Ste Thérèse d’Avila. Sans imiter la vocation singulière de ceux-là, une certaine sobriété, une certaine liberté intérieure nous aiderait sans doute à voyager léger dans cette vie, à être moins dupe des appels effrénés du consumérisme ambiant pour désencombrer notre cœur et notre vie, pour qu’à la suite du Christ, elle devienne bonne. Parce que c’est bien cela qu’au fond, nous voulons, et surtout que Dieu veut pour nous.
Alors le témoignage joyeux de notre vie bonne portera du fruit, un beau fruit silencieux et éloquent. Nous-mêmes serons joyeux de la vraie joie, et non pas tristes de ce repli de l’homme riche. Qu’avons-nous à y perdre ? Ecoutons : Va, vends, donne, puis viens, suis-moi !