Restons avec l’Evangile en Galilée. La belle Galilée, riche et luxuriante. La belle Galilée du ministère public de Jésus, avec le lac et les miracles autour, avec les villes et les enseignements qui attirent les foules, avec les disciples à la suite heureuse et confortable du Maître, le Christ. Confortable ai-je bien dit ?
Depuis dimanche dernier, la suite de Jésus n’est plus si confortable, depuis qu’il annonce sa Passion. Et encore ce dimanche pour la 2ème fois ; il y en aura une 3ème. Non, la suite de Jésus n’est pas confortable. Elle ne l’est pas pour Pierre qui refuse l’idée d’un Messie souffrant ; il préférerait un Messie triomphant, un leader qui réussit, un gagnant. Elle ne l’est pas non plus pour les autres disciples qui commençaient à se placer en entendant parler de résurrection. Ils se querellaient sur le plus grand. Le plus grand, c’est le plus petit. Décidément, suivre Jésus n’est pas confortable.
Voilà qui nous prend à rebrousse-poil, nous qui sommes au XXIème siècle dans une société du confort et du loisir. Nous sommes soucieux de bien-être, de sécurité, de principe de précaution. Nous sommes attentifs à notre développement personnel, à la réussite des jeunes générations, à l’économie de l’effort.
Dans cette mentalité, comment risquer sa vie à la suite du Christ ? Comment consentir à verser sa vie du côté de Dieu, qui que nous soyons, comme baptisés, comme laïcs engagés dans la belle marche du monde, comme époux, comme prêtre ?
Permettez que le Christ réponde à cette question. Un peu plus tôt dans l’Evangile, et déjà en Galilée, le Christ a confié une parabole à ses auditeurs : « Voici que le Semeur est sorti pour semer ». Et il sème inlassablement sur des terrains aussi peu prometteurs que les ronces, les pierres ou le bord du chemin. Le Semeur est sorti pour semer dans le vaste champ du monde, à tous les temps, dans tous les terrains, dans toutes les cultures. Inlassablement, le Semeur sème avec une confiance éperdue dans l’efficacité de sa semence, qui est sa Parole, c'est-à-dire qui est sa présence. Le Semeur est sorti pour semer et il devient grain de blé semé en notre monde et en nos vies. Il sera semé pour mourir et porter du fruit. C’est sa condition même. C’est sa vocation. Dieu entre incognito dans le monde sous la figure de la faiblesse et de la misère. Il se fait grain de blé, il se fait pain, il se fait Agneau.
A l’échelle de l’histoire, beaucoup de cités ou de Royaume contemporains du Christ ont disparu. Beaucoup de grands de l’époque sont déjà complètement oublié de l’histoire humaine. Seuls restent les serviteurs du Semeur, ceux qu’il a choisi pour prolonger son œuvre de semailles et d’annonce de sa Parole, pour être entrer dans les prolongements de son Incarnation, pour être, comme dit Saint Paul, les serviteurs de votre joie à condition de devenir eux aussi des grains de blé, ce qui n’est pas confortable.
Depuis 2000 ans, des prêtres sont ces serviteurs de votre joie, pour que la Parole faite chair soit semée dans vos cœurs et dans vos vies. Par eux, Dieu entre incognito dans ce monde, par une parole, une écoute, un conseil, ou encore un morceau de pain, un peu d’eau, un peu d’huile ou un pardon. Pour vous et avec vous, le Royaume de Dieu vit et grandit inlassablement, même si c’est dans le silence de la forêt qui pousse.
Il est possible et il est beau de risquer sa vie sur cette promesse, celle que la moisson de Dieu pousse, malgré des semailles décourageantes et une croissance pas toujours visible aux yeux des semeurs. La promesse de Dieu a fait se lever les patriarches et les prophètes. Elle a fondé le OUI de Marie à la parole de l’Ange. Elle a poussé les apôtres à la suite du Christ. Ils sont devenus grains de blé jetés en terre pour d’autres aient la vie, et ainsi de suite.
Ce grain de blé, ce pain de vie va être offert dans un instant, comme chaque dimanche, comme chaque jour. Pour nous, ce pain de l’Eucharistie sera tout à la fois le signe de la Croix aussi inconfortable soit-elle, et le signe et de la grande et joyeuse récolte de Dieu, en attendant le jour béni du repas des Noces de l’Agneau où il n’y aura plus ni mort, ni larmes, ni deuil.
Oui, il est possible et il est beau de risquer sa vie sur cette unique promesse. Il ne s’agit plus de gagner ou d’être le plus grand. Il ne s’agit même pas de réussir. Il s’agit d’être des serviteurs fidèles du Dieu fidèle, celui qui est le Maître de nos vies, celui qui nous donnera la joie que nous ne pouvons nous donner à nous-mêmes.
Je rends grâce au Seigneur d’avoir été appelé à devenir un serviteur de votre joie. A la suite du Vén Bénigne Joly, un St Vincent de Paul dijonnais du XVIIème, je peux dire au Seigneur : je ne sais si vous êtes content de moi, mais moi, je suis content de vous. Priez pour que je devienne le prêtre que je suis depuis 25 ans.