Les lectures de ces derniers dimanches nous ont habitué à ce climat de controverse, à ce climat de dispute théologique entre Jésus et ses détracteurs, essentiellement les scribes et les pharisiens. Il a beau être proche d’eux, tant religieusement que humainement. Pourtant, son exigence à leur égard est grande. Au point d’être sévère. Qui aime bien châtie bien, dit-on.
Et aux foules et aux disciples qui le suivent parce qu’ils ont entendu, vu, touché le Verbe de Dieu parmi eux, à ceux-là il les met en garde contre le mauvais exemple que donnent ces scribes et ces pharisiens : « ils disent et ne font pas ».
Nous avons tous entendu cette remarque cinglante de la part d’un enfant qui descelle chez un adulte, un parent, un éducateur, cette incohérence : il ne fait pas ce qu’il dit. Il est pris en flagrant délit où ses actes, ses gestes démentent ce qu’il dit et enseigne. Il ne fait pas ce qu’il dit. C’est comme dans le conte d’Andersen, les habits neufs de l’empereur. Seul l’enfant voit le mensonge entretenu par tout le monde ; le roi est nu, les habits soit disant neufs de l’empereur ne sont pas invisibles, ils sont une imposture.
L’imposture : ils disent et ne font pas. C’est l’imposture de l’adulte devant l’enfant. C’est l’imposture du prédicateur devant ses auditeurs qui le voient vivre, qui prêche la patience dans les contrariétés ou la tempérance devant le chocolat blanc, et qui ne les font pas. C’est l’imposture de tous ceux qui ont abusé de leur pouvoir d’une manière ou d’une autre devant leurs victimes confiantes et innocentes. Ce sont toute les impostures qui nous blessent tant et font que la confiance nous et si difficile à donner.
Face à cette imposture, il y a Jésus qui dit ce qu’il fait et qui fait ce qu’il dit. Quand Dieu crée le monde, il dit, et cela est. Et c’est beau, c’est même très beau, chante le livre de la Genèse au long de cette 1ère semaine de la création. En lui, pas de distance entre le dire et le faire. Pas de retard, pas de hiatus, a fortiori pas d’imposture. C’est même tellement uniquement que l’hébreu a utilisé un verbe dont Dieu seul est le sujet. Il crée. Dieu crée, parce qu’il dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit.
Nous marchons sur les pas de celui qui, en s’incarnant, prend ce risque de se compromettre avec l’imposture humaine qui ne fait pas toujours ce qu’il dit. Dans l’Evangile de ce jour, Jésus dénonce les manières d’enrober cette imposture dans une extériorité religieuse ou mondaine. On en rajoute pour mettre des paillettes, de la poudre aux yeux. On se met en avant, on cherche la promotion de soi, on joue des coudes.
Mais tout cela masque une imposture qui est un manque profond d’humilité. Vous me direz peut-être que l’humilité n’a pas bonne presse : c’est la vertu des faibles et de ceux qui n’ont ni projet, ni audace. Et pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit.
L’humilité a trait à l’humus, au sol. L’humilité se sera d’abord un amour qui s’abaisse, qui se met au service, et donc qui ne se met pas en avant, qui ne cherche pas son intérêt. Dieu nous aime en s’abaissant. Il se compromet dans notre humanité telle qu’elle est, avec ses hauts et ses bas, avec ses beautés et ses laideurs, et l’actualité nous le rappelle.
Dieu nous aime en s’abaissant, pas par condescendance, mais par amour. Il s’abaisse et se n’est pas une imposture. Au contraire, il s’abaisse en vérité, en s’incarnant d’abord, en lavant les pieds de ses disciples et en prenant un chemin que nul ne pouvait prendre. Il prend la dernière place, celle à laquelle personne ne pouvait prendre, et pour cause.
Il s’abaisse pour nous élever, pour nous consoler, pour nous guérir aussi. Il s’abaisse pour nous donner des raisons d’espérer quand nous-mêmes nous mordons la poussière, et Dieu sait combien cela nous arrive. Il s’abaisse pour nous sauver, et particulièrement pour sauver tout ce qu’il peut y avoir d’imposture en nous. Il nous donne de dire et de faire, à son image. C’est cela être vrai.
Chère Geo, depuis 100 ans, vous avez appris pas à pas à suivre ce Dieu qui s’abaisse pour nous élever. Avec nous tous ici réunis ce dimanche, je vous souhaite beaucoup de joie à le suivre au jour le jour, aujourd’hui d’abord, demain ensuite. Un seul pas à la fois, c’est assez pour moi, dit notre cher cardinal Newman, comme nous l’avons entendu au pèlerinage de 2000 à Birmingham. Vous y étiez.
Mais c’est une autre figure que je sollicite pour conclure, parce que son décalogue de la sagesse me fait penser à vous. C’est Jean XXIII quand il dit notamment : Rien qu'aujourd'hui, j'essaierai de vivre ma journée sans chercher à résoudre le problème de toute ma vie. Rien qu'aujourd'hui, je n'aurai aucune crainte. Et tout particulièrement je n'aurai pas peur d'apprécier ce qui est beau et de croire à la bonté. Rien qu'aujourd'hui, je serai heureux sur la certitude d'avoir été créé pour le bonheur, non seulement dans l'autre monde mais également dans celui-ci.