Permettez que je reste un peu dans cette page d’Evangile que nous venons d’entendre. Nous sommes en Galilée, dans les moments où le ministère de Jésus remporte le plus de succès. Il vient de multiplier les pains pour les foules qui venaient en masse écouter son enseignement. Il est même obligé de se protéger et de protéger ces disciples de la ferveur populaire : on veut le faire roi. Donc il faut partir. Il congédie ses disciples pendant qu’il fuit seul dans la montagne. Aux disciples, la barque, le lac, la nuit. A Jésus le silence, la montagne, la prière de nuit.
La même nuit abrite 2 réalités bien différentes : la nuit de la montagne, la nuit du lac. La nuit paisible de la prière, du cœur à cœur, du dialogue silencieux du Fils à son Père. Et la nuit de la tempête, la nuit de l’angoisse, la nuit de la menace du naufrage et de la mort. 2 nuits qui n’ont apparemment rien à voir, et qui semblent ne pas se rencontrer, tout du moins pas tout de suite. Il faudra attendre la fin de la nuit, dit le texte. Littéralement la 4ème veille de la nuit. L’évangéliste compte selon la manière romaine, c’est-à-dire entre 3 et 5h du matin. Quelle nuit d’angoisse ce dût être pour ceux de la barque !
Tout d’abord la nuit de la montagne. Comme à d’autres moments de son ministère public. Jésus part seul à l’écart, dans un endroit désert à l’abri de la foule et de l’agitation. Avant son baptême, il part 40 jours au désert. Avant d’appeler ses disciples, il monte de nuit sur la montagne pour prier. Et d’autres moments habités de la même intimité avec son Père. Seul, dans le silence de la nuit, il s’abandonne à ce dialogue nocturne, où la présence du Père se fait sentir comme la brise légère qui avait visité Elie à l’Horeb. Le Fils prie le Père, en se retirant dans le secret. C’est bien ce qu’il enseignera à ses disciples.
Une seule fois, cette prière nocturne sera en compagnie de ses disciples, qui seront tout de même à un jet de pierre. Ce sera à Gethsémani, juste avant l’arrestation et la Passion. Et nous aurons même le contenu de cette prière, ces paroles ‘échangés avec le Père, où jésus prie pour lui-même, pour ses disciples et tous ceux qui croiront en son nom.
Et puis il y a la nuit du lac. La mer est agitée. Ils auraient pu le savoir, eux ces pécheurs, ces hommes de l’expérience qui connaissent les mini-tempêtes qui agitent ce lac de Galilée tous les soirs après la coucher du soleil., et encore aujourd’hui. Même en 2023 on ne prend pas le large la nuit. Et pourtant Jésus les y a obligés.
Nuit de tempête, nuit d’extrême agitation, celles des vagues et celle des passagers de la barque. Nuit d’angoisse et de frayeur. Nuit où l’on craint pour sa vie. Quand finira cette tempête ? Quand finira cette traversée ? Quand finiront nos peurs. Allons-nous mourir ? Qu’est-ce Jésus fait ? Pourquoi nous laisse t’il seuls ? Pourquoi ne fait-il rien ?
A bien lire le texte, l’angoisse est comme redoublée, comme Jésus apparaît. On croit voir un fantôme. Dans l’angoisse et la peur, la réalité de la présence Jésus marchant sur les eaux apparaît comme une vue de l’esprit, un fantasme (c’est le mot grec employé). Et même plus tard, quand Pierre commence à couler, la peur archaïque de la mort reprend le dessus.
Ces angoisses et ces peurs nous parlent. Ces questions sans réponses de la barque sont les nôtres. Elles nous rejoignent, alors que nous les murmurons en silence à plein de moments de nos vies.
Et puis il y a Jésus qui marche sur les eaux de la mer, sur les eaux de la mort. Il marche et il sera même victorieux de ce vent, de cette mer déchaînée, comme au matin de Pâques où il remontera victorieux de toute mort. Remarquons 3 attitudes de Jésus :
D’abord, sa venue sur la mer est d’une extrême miséricorde. Il vient les sauver. Il se fait reconnaître. Il manifeste sa puissance de vie et de salut. Il est vainqueur de toute mort.
Ensuite, les quelques paroles qu’il délivre sont d’une grande sobriété. Mais il interpelle la foi des disciples : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur !... Viens… Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » . La foi est une affaire de confiance. Et nous qui croyons que c’était d’abord une activité de l’intelligence qui doit admettre des concepts, des notions, des dogmes. Une question de confiance, et donc une relation d’amour.
Enfin, la nuit de Jésus vient rejoindre la nuit des disciples. La nuit de la montagne reste profondément solidaire de la nuit du lac. L’épreuve de foi dans la barque est portée par la prière de Jésus dans la montagne. C’est bon de nous le rappeler, alors que la barque de nos existences (et que dire de la barque de l’Eglise ?) est chahutée par tant de tempêtes extérieures ou intérieurs. Jésus nous redit : « Je suis vainqueur de la mort. Je suis présent dans vos tempêtes ». Le crois tu ?