Permettez que je j’attarde ce matin sur ce récit de miracle. Et quel miracle : Jésus guérit un sourd, qui plus est un sourd-muet, ou plutôt littéralement un « mal parlant » Le miracle est de taille, parce que c’est le seul récit de guérison de sourd dans tout l’Evangile. Autant on voit Jésus guérir des aveugles, des infirmes, des lépreux, et tant d’autres malades, mais un seul sourd.
Le handicap de la surdité nous paraît assez familier. Les magasins de prothèses auditives fleurissent dans nos centres ville. Et pourtant la surdité totale dont il est question ici reste un handicap qui isole terriblement. Les sourds vivent une forme de double peine. Ils sont comme isolés, comme emmurés dans cette incommunication. Les différents moyens contournés pour les rejoindre dépendent de la bonne volonté des autres. Et là vient la seconde peine : le handicap de la surdité ne se voit pas. Il paraît presque invisible à la différence de tant d’autres déficiences. Même les normes d’accessibilité qui intègrent l’accès aux personnes à mobilité réduites ou aux déficients visuels ne semblent pas prendre en compte les déficients auditifs.
Revenons à cet unique sourd de l’Evangile. Cet unique sourd que Jésus guérit, accomplissant par là la prophétie d’Isaïe entendue en 1ère lecture. Nous sommes en terre païenne, de l’autre côté du lac de Galilée. Le voici donc emmené par les siens auprès de Jésus dont il n’a jamais entendu parler, et pour cause. Ses proches qui ont eux entendu parlé de la renommée de ce Jésus de Nazareth l’amènent avec toute leur espérance d’une guérison miraculeuse.
Et voici le miracle, tout simple, dans son récit et dans la fulgurance du passage de Jésus dans la vie de ce sourd. Quelques gestes, quelques mots. Les gestes ? les doigts dans les oreilles, la salive sur la langue. Jésus fait fi des distances sanitaires. Il se fait proche, tout proche. Parce qu’il s’est incarné, il s’est uni à l’humanité tout entière. Il ne la guérira pas de loin. Il ne la sauvera pas de loin. Il touche, et même il embrasse.
Les paroles ? Étonnantes, ces paroles adressées à un sourd. « Ouvre-toi », comme si c’était à lui, qui aurait entendu de s’ouvrir de l’intérieur. L’ordre est performatif, comme il le fait en chassant les démons ou en faisant d’autres guérisons.
Des gestes et des paroles. Le miracle se nourrit de ses 2 éléments essentiels, qui viennent nous communiquer le salut. Nous les vivons à chaque sacrement. Un peu d’eau et une parole de baptême. Un peu de pain et de vin et les paroles de l’institution. Un peu d’huile et une parole de consolation pour un malade. Les sacrements sont comme le prolongement de l’incarnation du Sauveur, qui vient nous apporter, non plus la santé mais bien le salut, la communion profonde avec le Père, notre propre divinisation.
Revenons à ce sourd pour finir. Ce sourd anonyme qui arrive et qui repartira sans que nous sachions son identité et ce qu’il adviendra de lui. Au début de notre nouvelle année, il semble que ce sourd-muet ait quelque chose à nous dire, à nous qui vivons dans une société où l’on parle beaucoup, une société de bruits et d’images.
Ce sourd-muet nous parle de nos propres surdités et de nos propres mutismes. Il y a des surdités que les audioprothésistes ne soignent pas. Celle du cœur. Abasourdis que nous sommes par le bruit et le tourbillon du quotidien, nous sommes emmurés. Abasourdis par notre égoïsme, par notre individualisme, notre autoréférentialité comme dit le pape François, nous nous isolons. Et en plus nous prétextons que les autres ne sont pas assez audibles. Abasourdis par nous-mêmes, nous devenons sourds aux autres, sourds à Dieu et à sa Parole, et même sourds à nous-mêmes.
Et que dire du mutisme de notre cœur, quand il ne sait plus exprimer l’amour et la tendresse, quand il tait les paroles réconfortantes ou d’encouragement, laissant place aux reproches, aux murmures, et aux paroles piquantes ou acides.
Bref, ce sourd-muet, c’est chacun de nous. Dès lors que nous le remarquons, nous pouvons nous amener l’un l’autre auprès de Jésus pour qu’il nous touche les oreilles et la bouche. Le miracle pourra éclater, les lèvres et les oreilles pourront s’ouvrir. Souvenez-vous de votre baptême ou du dernier auquel vous avez assistez. Avec un réalisme très audacieux, la liturgie reprend ce geste de Jésus. Le prêtre touche les oreilles et la bouche de l’enfant en lui disant : « Ephata, Ouvre-toi. Le Seigneur a fait entendre les sourds et parler les muets. Qu’il te donne d’écouter sa Parole et de proclamer la foi pour la louange et la gloire de Dieu le Père ».
Je vous le dis et je le demande au Seigneur pour chacun de nous au seuil de cette année : « Ephata, Ouvre-toi. Le Seigneur a fait entendre les sourds et parler les muets. Qu’il te donne d’écouter sa Parole et de proclamer la foi pour la louange et la gloire de Dieu le Père »