Seigneur Jésus, avec toi nous irons au désert avons-nous chanté au début. Or, Jésus est tenté au désert. C’est la phrase que vous avez sous les yeux avec cette image d’un désert de pierre et de montagne tel qu’on peut en voir en Terre Sainte. C’est pour nous la porte d’entrée de ce Carême, ainsi que pour les catéchumènes qui vivent aujourd’hui l’appel décisif par l’Archevêque, avant cette ultime préparation au baptême la nuit de Pâque. Ce dimanche est donc celui de la tentation, de l’épreuve. Celui où un adversaire sort du bois pour s’interposer entre l’homme et Dieu. Et nos lectures me font l’effet d’un huit-clos à 3 partenaires. Permettez que je vous les présente.
D’abord cet adversaire. Les lectures du jour utilise différentes dénominations : le serpent, le tentateur, le diable, le Satan. Ne symbolisons pas trop vite l’existence de cet adversaire, ce serait faire mentir l’Ecriture. Ce serait édulcorer toute une part de l’expérience concrète de tant et tant de ceux qui nous ont précédé ou qui sont nos contemporains.
Le voici donc cet ennemi qui s’interpose entre Dieu et l’homme. Et comment s’interpose-t-il ? Comme il est le père du mensonge, il le fait justement en travestissant la vérité, en induisant en erreur. A Eve, il déforme carrément ce que Dieu avait donné comme consigne, en introduisant un soupçon sur ce que Dieu veut vraiment. Dieu avait simplement dit : « Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez ». Le serpent travestit en rassurant Eve : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal »
Et de même avec Jésus. Il lui promet tous les royaumes de la terre à condition de se prosterner, profitant de la faiblesse et de la vulnérabilité du Dieu fait homme. Mais le Christ est déjà le Roi de l’univers. Il est déjà le Seigneur de la Création. Il est déjà le Maître.
Le père du mensonge déploie son venin en introduisant soupçon et doute ; et par là, il introduit un coin redoutable dans la confiance que l’homme pouvait faire à Dieu. C’est bien cette confiance, à la foi obéissance et fidélité qui va être blessée par le péché conséquence de la séduction de ce mensonge. Sauf que devant le Christ, le diable va se briser net, ici, à Gethsémani et à la Croix.
Ensuite Eve et Adam. Les voici dans cette innocence du jardin du Paradis. Les voici dans cette unité à l’image de Dieu. Les voici dans cette perfection et beauté premières. Et d’un coup, à cause du mensonge du démon, voici que le fruit (il n’est pas question de pomme) prend une autre apparence. Il devient savoureux, agréable à regarder et désirable. 3 adjectifs qui parlent dans les petites tentations quotidiennes, cela va de la tarte aux framboises au site Internet grossier ou crapuleux, de la culture du déchet à la culture de la mort. Le mal, le péché, semble se présenter sous la forme d’un bien. C’est la conséquence de ce mensonge introduit par le démon. C’est la conséquence désastreuse de ce que l’on appelle le péché originel qui laisse cet attrait, cette concupiscence dans le cœur humain pour un mal qui en plus a les apparences du bien.
Sauf pour le Christ. Et venons à ce 3ème protagoniste. Lui ne vacille pas à aucun des 3 tentations subtiles que le démon lui présente sous forme de piège. Le voici donc, le Fils de Dieu, emmené au désert qui est le lieu de la solitude, le lieu de la révolte également depuis qu’Israël avait plusieurs fois regimbé contre Moïse et contre Dieu pendant ses 40 années d’errances. Le voici, affaibli par ces 4à jours de jeûne, fatigué et vulnérable, épousant de l’intérieur l’expérience humaine avec laquelle il fait corps.
Et le voici donc au fond de cette expérience, aux prises avec le tentateur qui déploie ses artifices. Tentation de trouver sa nourriture rapidement et sans Dieu, tentation contre la vie donnée par Dieu, tentation du pouvoir et de la gloire. Ces tentations résument sans doute tout ce qui s’interpose entre un cœur humain et son Créateur. Sauf que dans ce désert, contrairement au jardin du Paradis, elles rencontrent la confiance absolue du Christ. Elles se heurtent à son obéissance radicale au Père. Elles se fracassent contre la force spirituelle de Celui qui est le vainqueur du mal.
Dieu semble envoyer son Fils au désert, comme Israël envoyait un bouc émissaire chargé des péchés du peuple pour être comme sacrifié, à sa place, au pouvoir du mauvais. Mais Dieu envoie son Fils au combat comme son champion, celui qui terrassera ce démon, en lui infligeant une sévère défaite.
Dans 6 semaines, nous serons à nouveau dans un jardin, celui du tombeau vide, à quelques pas du Golgotha. Depuis Pâques, nous goûtons une liberté intérieure possible, celle d’échapper au mensonge, celle d’être fort dans toutes les petites faiblesses quotidiennes, même quand elles sont une pente glissante, même quand ce mal se présente sous les traits d’un bien.
Seigneur Jésus, avec toi nous irons au désert pour guérir. Et tu ôteras de nos coeurs le péché, Et tu guériras notre mal, Et nous fêterons notre Pâque au désert : Ô Vivant qui engendre la Vie !