La question de St Pierre résonne ce matin dans cet Evangile où le Christ répond par cette parabole si claire : 70 fois 7 fois, bref de façon infinie, inconditionnelle. La question résonne à nos oreilles parce qu’elle nous est assez familière, et presque douloureusement familière. Comme de fois devrai-je encore pardonner à cet enfant insolent et ingrat ? A ce voisin indélicat et intrusif ? A cette collègue envieuse et manipulatrice ? A ceux qui m’ont blessé, insulté, volé, torturé ?
Après le discours de la semaine dernière sur la correction fraternelle, voici aujourd’hui une autre dimension de la vie en communauté, celle du pardon. Et Jésus ne laisse aucune communauté au repos quand il répond de façon si claire : tu dois toujours et toujours pardonner pour une raison simple : tu a toi-même été pardonné d’une dette que tu ne pouvais pas rembourser, d’une faute ou d’un péché, dont tu ne pouvais pas t’excuser.
Relisons la parabole : le même homme a une dette immense envers le roi et une créance assez modeste envers son collègue. Dette immense : 1644 siècles de travail (à une pièce d’argent la journée de travail). Une créance modeste : 3 mois de travail. La dette immense n’est pas remboursable à vue humaine, c’est un fait. Et malgré les promesses de ce débiteur, le roi ne peut pas être dupe. Ni la vente de la femme, des enfants et des biens ne sauraient apporter la réparation de la dette. Seule l’humilité de cet homme crie en sa faveur. Et c’est bien ce qui se passe quand la compassion du roi témoigne de sa profonde pitié, au point d’en être remué aux entrailles, selon l’expression originelle grecque.
Le pardon est l’expression de sa miséricorde, comme nous l’avons si bien contemplé l’année dernière. Et le psaume 102 chante cette miséricorde : « Il pardonne toutes tes offenses, et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse. Il n’est pas pour toujours en procès, ne maintient pas sans fin ses reproches ;il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses. »
Fin du premier acte, et voici le deuxième, tout autre. Le même homme se retrouve dans la situation réciproque. Le débiteur à la dette remise se retrouve créancier d’une peccadille. Au lieu de la miséricorde, c’est un esprit d’envie, de colère et de rancune qui le submerge. Plutôt que de goûter la libération de sa dette, le voilà désireux de s’enrichir sur le dos de son débiteur.
Ce deuxième acte est d’autant plus scandaleux à la suite du premier. Puisqu’il t’a été fait miséricorde, ne devais tu pas faire miséricorde à ton tour. Et voilà qui fonde ce pardon inconditionnel auquel le Christ nous invite avec vigueur. Nous sommes des enfants de Dieu, des disciples du Christ et des temples de l’Esprit, mais nous sommes aussi des pécheurs pardonnés, dont le Père nous a remis cette dette que nous ne pouvions pas rembourser. Dans son mystère pascal, sur la Croix, le Christ a porté le poids de cette dette, il a imploré le Père en notre faveur. « Pardonne-leur »
Pour cette raison, le pardon les uns des autres est une clé de nos relations humaines, de nos relations communes, que ce soit en couple, en famille, avec nos voisins, au travail. Pour finir, je retiens 3 traits qui nous serviront dès notre retour à la maison ou au travail demain matin.
Un vrai pardon. C'est-à-dire un pardon du fond du cœur. Un pardon où l’amertume est éteinte, la rancune dépassée. Je sais bien qu’il n’est pas toujours possible d’éteindre les blessures de nos affects, mais nous pouvons au moins faire la part des choses et travailler à être libre intérieurement par rapport à ces blessures. C’est une condition de ce pardon vrai, du fond du coeur
Un pardon inconditionnel. Un pardon qui n’attend pas une démarche de l’autre. C'est-à-dire un pardon intérieur qui ne met pas de préalable, de sorte à pouvoir accueillir avec un cœur disponible et un visage apaisé l’autre quand il viendra, non pas s’excuser, mais demander pardon.
Un pardon ancré. Nous sommes aidés par la demande du Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Nos pardons sont ancrés dans celui que nous expérimentons de la part du seul Maître. Les nombreuses PU où nous prions pour la paix, impliquent que nous la construisions très concrètement. Alors les pécheurs pardonnés deviennent des pécheurs pardonnants. Alors nous devenons des ouvriers de paix, des bâtisseurs d’amour.