Il est presque midi, et Jésus est assis pour se reposer et comme à la Samaritaine, il demande à boire. Vous l’avez entendu, il est question d’une soif, la soif de Jésus qui attend d’être désaltéré. Restons avec cette demande, cette soif de Jésus, parce qu’il est bien question d’eau et d’être désaltéré. Mais vous avez entendu que le dialogue avec cette femme va prendre un tournant décisif.
Avant cela, il faut se rappeler que les puits sont dans l’Ancien Testament le lieu de la rencontre des nomades venus abreuver leurs troupeaux. Qui dit rencontre dit échange, qui dit échange dit alliance, qui dit alliance dit mariage. Et nous trouvons de beaux mariages, celui d’Isaac et de Rebecca, celui de Jacob et de Rachel. L’eau vive et le puits devient comme le symbole de l’alliance conjugale où chacun rencontre l’autre pour une alliance de vie, mais aussi recevoir d’un autre divin l’eau qu’il ne peut se donner à lui-même. Et cette femme, qui a eu cinq maris et vit avec un sixième qui n’en est pas un, aura besoin de rencontrer l’Epoux véritable, celui qui seul peut faire alliance avec elle, pour qu’elle vive.
Et il y a une curieuse situation pour cette femme, dont le péché d’adultère se double d’un péché d’idolâtrie. Pour les Samaritains comme pour les Juifs, les cultes aux dieux cananéens avaient pris le dessus sur le Dieu saint d’Israël. Or ces dieux s’appelaient justement Baal, l’époux. Il ne lui faut pas seulement quitter son infidélité chronique, il lui faut aussi quitter son idolâtrie, à l’endroit même de cette conjugalité dévoyée et pervertie. La rencontre avec le Christ, le seul Epoux sera décisive.
Ce puits de Jacob est le lieu des noces, mais aussi le lieu de l’opération vérité. Il faudrait relire tout le chapitre 4. Jésus amène cette femme à une prise de consceicne, dirait-on aujourd’hui. Il lui faut accéder à la vérité de sa situation. Et du même coup à la vérité sur l’identité de son mystérieux interlocuteur. « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? ». Vous avez peut-être remarqué combien, au début du dialogue, elle se met à une certaine distance, un peu narquoise, un peu moqueuse, on dirait presque une cancalaise. Mais la révélation délicate finalement de son péché change tout. C’est l’opération vérité sur elle-même, comme pour tant d’autres dans l’Evangile : Zachée, Marie-Madeleine, Matthieu…
La lumière qui se fait sur elle change radicalement sa vie. Mais surtout, cette lumière qui se fait sur elle-même se fait d’abord sur son interlocuteur. Il est le Messie. Et il le lui dit. C’est presque une des seules fois dans l’Evangile où le Christ se fait si explicite. « Je le suis moi qui te parle ». Bien au delà des frontières visibles d’Israël, le Christ fait en vérité la lumière sur lui-même pour cette femme chez qui il a ouvert une soif et un appétit de vérité.
Et justement, le puits est aussi et presque d’abord le lieu de l’eau vive. Et j’en reviens à mon point de départ. Jésus a soif, et pourtant c’est lui qui va ouvrir une source dans le cœur de cette femme. Il lui fait le don de la foi en sa personne. Il ouvre en elle un désir qu’elle avait enfoui. L’eau de son désir de vie et de vérité s’était perdu dans les méandres de son existence, comme il arrive souvent pour tant et tant de nos proches, et quelques fois pour nous mêmes.
Il est très réconfortant de découvrir que le Seigneur s’occupe de nous au point de nous rejoindre à l’endroit même de notre besoin le plus profond. Nous retrouvons la première lecture et le don de l’eau dans le désert à un peuple assoiffé et finalement révolté contre Moïse et surtout contre Dieu. Voilà une révolte presque caricaturale. Ils ont faim, ils se révoltent. Ils ont soif, ils se révoltent. Ils sont perdus, ils se révoltent. Ils doivent attendre Moïse, ils se font un veau d’or. Tentation de prendre plutôt que de recevoir. Tentation de se révolter quand ce qui est attendu ne vient. Et cette phrase terrible : « Le Seigneur est-il oui ou non au milieu de nous ? »
Oui le Seigneur est au milieu de nous, nous le savons depuis Noël. Oui le Seigneur s’occupe de nous. Oui il fait naître en nos cœurs tristes et désespérés la joie et l’espérance. Oui il nous fait lever les yeux sur ce qui est beau, bon et vrai. Oui il nous fait le don de la foi, alors que nous étions tentés de penser que la foi était au bout de nos efforts, de notre réflexion, de nos doutes et de nos combats.
La préface va chanter tout à l’heure. « Il avait un si grand désir d’éveiller la foi dans son cœur, qu’il fit naître en elle l’amour même de Dieu ». Nous en avons grand besoin, pour que notre Carême soit d’abord celui du Christ en nous. Pour que Dieu prenne le relais de nos efforts incertains et inconstants. Pour que l’enjeu de notre Carême reste celui de la ferveur et de l’amour.