Ce dimanche encore, les lectures ne sont pas confortables. Le juste de la première lecture qui est persécuté. L’homme intérieur de la deuxième lecture en proie à un combat intérieur sans relâche. Et puis l’Evangile avec cette deuxième annonce de la Passion (il y en aura trois en tout) et la remontrance faite aux disciples en quête d’une promotion.« Qui est le plus grand ? » s’interrogeaient-ils entre eux.
« Qui est le plus grand ? » s’interrogeaient-ils entre eux. La question est confondante tellement elle paraît humaine et mondaine. C’est la question de nos groupes humains respectifs, celle d’une association, celle d’une famille, celle d’une société. C’est la question des médias. Qui est le plus compétent pour diriger les affaires ? Qui est le plus puissant ? Qui est le plus riche ? Qui a le règne le plus long ? Qui détient tel ou tel record, quelquefois jusqu’au record le plus ridicule.
C’est le démon de la comparaison qui prend tout groupe humain, ou chacun est souvent plus ou moins tenté de se comparer à l’autre, voire à jalouser celui qui sera plus fort, plus grand ou plus talentueux. Démon de la comparaison, mais aussi le piège de la jungle, ce terrain hostile où il faut se faire une place, où l’autre reste un concurrent. Et la culture contemporaine, y compris sur le petit écran, n’est pas en reste.
On peut s’étonner que la question des apôtres arrive alors même que le Christ vient à nouveau d’annoncer sa Passion et sa Résurrection. Comment se compareraient-ils à lui ? Comment pourraient-ils envier son sort ? A moins que la perspective de la résurrection fasse naître en eux des désirs bien ambigus : un règne terrestre, des places ou des maroquins pour les uns et les autres.
Qui est le plus grand ? Le Christ n’oppose aucune sainte colère à cette question. Il ne leur reprochera pas cette fois ci leur manque de foi, leur vision trop humaine. Le soir venu, à froid, dans l’intimité de la maison de Pierre à Capharnaüm, le debriefing se fait parabole. Voyez cet enfant, c’est lui le plus grand. Parabole surprenante pour des oreilles de l’Antiquité. Pensez donc, un enfant : pas l’enfant-roi de notre siècle, mais plutôt celui qui joue ou danse toute la journée ou qui entonne un air de flûte. Non, la parabole du Christ se fait insistante : cet enfant, c’est lui le cplus grand. Par sa candeur, par sa disponibilité et son obéissance, c’est lui le plus grand. Par sa fragilité et sa vulnérabilité, c’est bien lui le plus. C’est lui la parabole du Royaume, qui est caché aux yeux des hommes et qui ne demande qu’à grandir. C’est lui qui est livré aux mains des hommes dans sa fragilité et sa petitesse.
Décidément, il faut entendre que le Messie n’est pas un Messie triomphant. Il n’en n’impose pas. Le Très-Bas ne fait dangereusement vulnérable. Cela a commencé à Nazareth quand Dieu prend le risque de s’en remettre à une femme et à son mari. Cela continue à Bethléem où la folie d’Hérode aurait pu arriver à ses fins avec le massacre des innocents. Et cela va durer tout le ministère public, jusqu’à la Passion où la violence humaine paraît engloutir ce Messie désarmé. « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la Croix ». Le plus grand manifeste sa grandeur en s’abaissant et en se mettant à une place que personne n’occupait ni même n’enviait : la dernière. Et l’enfant en est le symbole, la parabole vivante.
Et cela continue : les sacrements sont comme des paraboles de ce Très Bas désarmé qui se propose à nous. Cette pauvre parole humaine qui doit servir la Parole de Dieu. Cette pauvre hostie livrée entre nos mains qui nous apporte la présence du Ressuscité.
Dieu n’est jamais aussi grand que lorsque qu’il s’abaisse et se présente à nos cœurs endurcis. Cela indique une manière d’être pour ceux qui le servent. Certes cela concernera les apôtres et leurs successeurs, les évêques, et donc les prêtres, les diacres. Mais cela concernera tout disciple du Christ et toute communauté chrétienne.
La vigueur de notre vie évangélique va donc se jauger à la manière dont regardons cette pauvreté et cet abaissement du Messie, du Très Bas qui Vient à nous à la manière de cet enfant. Mais elle se jaugera aussi à la manière dont nous accueillerons la fragilité et la faiblesse qui nous habite, celle qui habite nos communautés. Demandons que l’audace et la créativité ne nous manquent pas. Demandons que le discernement ne nous fasse pas défaut.