« Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi »
Après le long discours sur le pain de vie à la synagogue de Capharnaüm, nous voici ce dimanche avec cette controverse avec les Pharisiens, la partie la plus pieuse, la plus fervente du peuple Juif, celle-là même qui a voulu intérioriser la Loi de Dieu au point de la déployer de façon concrète dans tous les gestes de la vie quotidienne : le rapport à la nourriture, le rapport à la cuisine, le rapport à l’argent, le rapport au travail, le rapport à la sexualité.
Le point de départ de la controverse est la question de se laver les mains avant de passer à table. Non pas par hygiène, mais par souci de pureté rituelle, comme celle qui prescrit de manger certains aliments plutôt que d’autres, qui définit leur mode de cuisson, ou encore qui interdit tel ou tel autre mélange dans les ingrédients. Pureté rituelle, pas pureté morale, mais la pureté rituelle, qui fait que le croyant peut par cet acte simple de la vie rester dans l’Alliance avec Dieu, telle que la Loi et son interprétation en donne l’esprit et la lettre.
La conclusion du Seigneur est radicale : « ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi » ; et encore : « tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur ». Et même : « c’est ainsi qu’il déclarait pur tous les aliments ».
Comment comprendre cette radicalité, ou plutôt cette liberté à laquelle le Seigneur Jésus nous appelle dans notre relation au monde, à la nourriture, au travail, à nous-mêmes, et finalement même à la Loi de Moïse ?
1. « Ecoutez mes paroles et vous vivrez » nous rappelle la première lecture. Il y a donc à écouter. La Révélation se donne à entendre et à écouter. Une voix, une Parole est donnée. Certes, il s’agit de l’accueillir ; certes il s’agit de l’interpréter. Mais c’est une Parole à écouter. Dans la foi, il y a plus à écouter qu’à voir. La vision a quelque chose de plus total, de plus englobant, de plus éblouissant, voire envahissant. Dieu se donne à écouter et non à voir. « Ecoute la voix du Seigneur, prête l’oreille de ton cœur » chantions-nous au début de cette célébration. Ecoutons, avant de prendre la parole à notre tour. Ecoutons longuement pour accueillir et comprendre, sans mettre de filtres, sans déformer, sans trahir, mais s’il s’agit de traduire. « Accueillez donc humblement la parole de Dieu semée en vous ; elle est capable de vous sauver » nous affirme St Jacques.
2. « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi ». La distance entre les lèvres et le cœur n’est pas très loin. Mais il semble que cette distance soient allongées par des détours, et des chemins de traverse. Nos lèvres, notre langue et même nos mains sont habiles à donner le change. Mais avons-nous mis notre cœur dans ce que nos lèvres confessent, dans ce que notre langue dit ou chante, dans ce que nos mains font ?
Le Seigneur Jésus ne cesse d’inviter à un culte en esprit et en vérité. En fait, il s’agit d’une foi vécue, et d’abord au centre de l’être, au cœur. Pas le cœur, siège des émotions et des sentiments. Pas celui qui bat la chamade, mais plutôt ce centre intime de l’être, celui du moi le plus profond, ce siège de ma volonté et de mon intelligence. La philosophie parlera plus tard de l’âme.
Pour revenir à la controverse avec les pharisiens, le Seigneur n’enjolive pas les choses. Aucun rite, aucun geste extérieur ne peut éviter à notre cœur le travail ou le combat contre ce mal qui reste présent. Ici, le Seigneur parle de pureté morale, de droiture de cœur. Et cette attitude juste et droite que le Seigneur attend de nous. Que l’écoute se fasse transformatrice pour notre cœur, de sorte à ce que nos lèvres et nos mains en soient transformées.
Une écoute qui altère et qui nous change. Au seuil de cette rencontrée scolaire et pastorale, voici un bel enjeu et un bel objectif. Une écoute de la parole de Dieu, une écoute des autres et peut être pour la première fois une écoute de nous-même qui nous altère et nous transforme. C’est ce que je vous souhaite. Souhaitez le pour moi.