Nous venons d’entendre ce cri adressé à Jésus qui monte vers Jérusalem. C’est que Jésus est pressé d’arriver à Jérusalem pour accomplir son ministère public. La route passe par le bel oasis, encore maintenant, de Jéricho. Ce n’est pas un lieu perdu, c’est une ville luxuriante, le palais d’hiver du roi Hérode à l’entrée de la route qui monte vers la Ville sainte.
Et voici donc le dernier miracle que Jésus va accomplir avant sa Passion. Il y aura eu de nombreux miracles : des sourds, des muets, des lépreux, des paralytiques. Il y aura eu les multiplications des pains, et même des résurrections de plusieurs personnes déjà mortes. Mais dans le cursus des 3 Evangiles synoptiques, il n’y en aura plus un seul, pas même celui que Jésus pourrait faire le concernant, pour éviter la Passion ou descendre de la Croix. Ce miracle vaut la peine de nous y arrêter.
A première vue, il y a ce changement extraordinaire concernant cet aveugle. Il était seul, marginalisé aux portes de la ville. Il était assis, pleurant et gémissant. Et le voici à la fin, joyeux et exultant, courrant vers Jésus et surtout suivant Jésus sur son chemin vers Jérusalem. C’est extraordinaire de se dire que la première personne qu’il voit après tant d’années dans l’obscurité et la solitude qu’apporte la cécité, c’est le Christ dans la beauté de son humanité. Nous en serions presque à l’envier, lui qui est guéri de sa cécité, nous qui sommes plus ou moins des aveugles qui souffrons de ne pas voir celui que nous prions, que nous célébrons, que nous attendons.
Mais permettez moi d’avancer que le centre de cet Evangile n’est pas la vue retrouvée, mais la foi exprimée. Je m’explique : c’est le Christ lui-même qui l’affirme : « va, ta foi t’a sauvé », comme il le dira à d’autres reprises, notamment à la femme hémorroïsse ou au lépreux. Du coup je relève 3 points qui peuvent nous faire entrer dans la foi de Bartimée.
D’abord, la foi naît de ce que l’on entend. Ce n’est pas moi, c’est Saint Paul qui le dit dans son épitre aux Romains. De ce qu’on entend, pas de ce que l’on voit. Nous pensons souvent que la foi serait plus facile si l’on voyait, si l’on vérifiait le contenu de la foi. Or, il s’agit d’être éveillé à la foi par ce que l’on entend, par l’écoute. Il a entendu parler de Jésus de Nazareth et il appelle Jésus. Plus précisément, il a entendu que Jésus de Nazareth passait, et il appelle le Fils de David. Le passage de l’un à l’autre ne va pas de soi. C’est bien la foi qui le fait justement conclure que Jésus de Nazareth dont on lui parle est ce Fils de David qui peut le sauver. Il est ce Messie politique, ce Messie guérisseur, ce Messie.
Ensuite, sa foi témoigne d’une confiance : Jésus peut le sauver. Il ne peut se guérir tout seul. Il ne peut se redonner la vue, ni la vie à lui-même. Il doit la recevoir de celui-là qui seul peut la donner, la redonner, parce qu’il en est le Maître. Comme pour la femme hémorroïsse, peut-être avait-il couru la campagne en attente d’un médecin, d’un sauveur humain. Demain Jésus, il confesse son espérance : fais Seigneur que je vois, que je retrouve la vue, la joie, la vie avec mes frères.
Enfin, vous avez remarqué qu’il crie, qu’il hurle pour se faire entendre au milieu de cette foule nombreuse qui suit et entoure Jésus. Bien sûr, il faut qu’il sorte du lot. Mais c’est comme s’il venait également avertir, réveiller cette foule sur l’identité de celui qui est au milieu d’eux. Et ce cri se fait prière : prends pitié de moi. Jette les yeux sur moi, regarde moi avec miséricorde et compassion comme tu l’as fait pour tant d’autres.
Cette prière traverse les siècles et reste déposé dans le trésor de prière de la tradition chrétienne. Nous la retrouvons dans nos liturgies. Prends pitié de nous, sauve-nous. Elle habite plusieurs moments de nos eucharisties. Mais l’habitons-nous vraiment ? L’habitons nous du fond de notre cœur ce croyant ?
Je vous rappelle pour finir la prière du cœur qui habite la spiritualité de l’Orient chrétien. Elle est en droite ligne de ce cri de l’aveugle. « Seigneur Jésus Fils du Dieu vivant, prends pitié de moi pécheur ». Un best seller de la littérature russe l’a diffusé dès la fin du XIXème siècle. Cette prière pourrait nous accompagner comme elle accompagne les pas et même la respiration de ceux qui veulent suivre Jésus, parce qu’il s’agit bien de cela. Le suivre avec amour, le suivre avec obéissance, le suivre avec ferveur.