« Un grand prophète s’est levé parmi nous ! » (Lc 7,16)
A la vue du miracle où le Christ ressuscite le fils de cette veuve, la foule jubile et laisse exploser sa joie. Dans la ferveur, les mots fusent. C’est lui le grand prophète, celui qui apporte enfin la consolation d’Israël. Et puis le grand prophète changea de village, il pris la route de Jérusalem. Qui de Naïm l’a suivi ? Qui a reconnu le Fils de Dieu ? Aujourd’hui même, il n’y a plus un seul chrétien dans ce petit village au pied du Mont Thabor.
Cette lecture est choisie en cette messe votive de St Philippe. Elle est directement choisie en référence au miracle du 16 mars 1583 où St Philippe a ramené le jeune Paolo Massimi à la vie pour quelques instants. Ce miracle comme tant d’autres, sans compter ceux que nous découvrirons au Ciel, sont là pour attester l’incroyable source de grâce qui déborde la les gestes et les paroles de notre saint. Et les litanies composées par le bx John Henry Newman ne sont pas en reste pour nous faire regarder le Socrate romain comme on regarde un diamant, face par face : Père très doux, Martyr de la charité, Perle du sacerdoce, Modèle d’humilité, Apôtre de Rome, Voix prophétique.
Et justement. Voix prophétique. Par sa vie, par son ministère, Philippe a exercé une fonction prophétique. De lui également les romains ont pu s’exclamer avec ferveur : un grand prophète s’est lever parmi nous ! Il est le prophète qui avertit, qui tance ou qui exhorte. Il est le prophète qui accomplit les hauts faits de Dieu en guérissant, ressuscitant ou nourrissant. Il est le prophète qui montre le chemin de la ferveur et de la conversion.
Nous voici donc aujourd’hui réunis à Paray le Monial pour rendre grâce au Seigneur d’avoir donné à son Eglise ce prophète. Voici 500 ans que cette grâce a été donnée. Voici 500 ans qu’elle rayonne au milieu de tant d’autres figures avec lesquelles il aura contribué à raviver la ferveur éteinte au cœur même de l’Eglise romaine. Et depuis 500 ans, ses disciples ne cessent de regarder en lui cette grâce prophétique pour y trouver une source puissante d’action dans le génie de chaque époque et de chaque culture.
Je vous laisse 3 facettes de ce diamant prophétique qui m’ont particulièrement touché : Elisée, Jérémie et Jean Baptiste
Tel Elisée, mais aussi comme le sera le Seigneur Jésus lui-même, il est saisi de pitié, remué aux entrailles pour les détresses humaines et spirituelles qu’il croise. Il est remué aux entrailles au point d’agir pour elles. Parce que la charité le brûle et le pousse, il ne se regarde pas. Dans ce mouchoir de poche qu’est la Rome du XVIème, il va et il vient au gré de la grâce, sans se regarder, sans regarder l’œuvre de ses mains. Voilà qui fonde le dynamisme de l’Oratoire qu’il a fondé malgré lui. Nos Oratoires n’auront pas plus à se regarder, et encore moins à se célébrer. Pour nos Oratoires, comme pour chacun de nous, la charité urge, et elle nous pousse là où l’Esprit mène notre sollicitude communautaire et pastorale. A notre porte, dans nos quartiers, dans nos villes, partout et à chaque fois que l’Esprit nous remue aux entrailles.
Pourtant, pas plus que pour le prophète Jérémie, la parole dont il est le serviteur ne lui est consolante. « Mon cœur s’agite en moi » (Jr 4,19) ; « Pourquoi ma souffrance est-elle continue, ma blessure incurable ? (Jr 15,18). Quand St Philippe se regarde, c’est dans la lumière implacable de celui qui l’a blessé d’amour. S’il se regarde, c’est pour laisser monter en lui les larmes de la contrition. Oui, sans la grâce divine il n’est rien. Oui, sans l’aide du Seigneur Jésus, il pourrait même le trahir. Ses oraisons jaculatoires nous ouvrent son cœur de disciple et de prophète. Cœur habité certes, mais cœur inquiet, sans repos tant que le Christ n’a pas pris toute sa place. 500 ans plus tard, la charité urge et elle nous pousse à nous convertir, parce que justement l’Oratoire et une école de charité, là où nous continuons à apprendre encore et encore. Une école : c’est bien ce que disent nos constitutions. L’Oratoire n’est pas un plage où l’on se prélasse, ni un hôpital où l’on attend une guérison, ni un salon où l’on cause, mais une école où l’on apprend à se convertir. Vivre, c’est changer dit le bx John Henry Newman. Vivre, c’est donc apprendre.
Tel St Jean Baptiste dont il eut une apparition, il se tient légèrement de côté pour attirer au Christ ceux qu’il prend dans ses filets. Mener au Christ par tous les moyens d’un pédagogie qui n’a pas de méthode, on l’a souvent dit. Mener au Christ par la joie, la ferveur, la bonhomie, la simplicité, le chant, bref par tout ce qu’il y a de bon et de beau dans le cœur humain. Mener au Christ pour faire goûter une expérience qui a enflammé son cœur de florentin parachuté au cœur de Rome. Il aura toujours conscience de n’être que la voix au service de la Parole. Pour ses disciples, de quelque état de vie qu’ils soient, voilà bien une méthode : se tenir à la juste place de celui qui désignera toujours le seul Maître, le seul Epoux, le seul Christ. Que faire d’autre, que même désirer d’autre ?
Saint Philippe, « du haut des cieux regarde et vois » tes enfants qui sont en France. Ils ont l’accent chantant de l’hyérois, rocailleux de Bourgogne, traînant de Lorrain, ou même un peu parigot. Regarde cette vigne que tu as plantée de l’autre côté des Alpes. Continue à exercer pour eux ta figure prophétique et donne-leur d’y conformer leur vie, leur attachement communautaire et leur apostolat. Sois leur voix, que l’on puisse à nouveau s’exclamer de toi : « un grand prophète s’est levé parmi nous ! »