Nous venons d’entendre ce long récit, ce dialogue peu banal entre un homme épuisé par la chaleur et la route, et une femme anonyme qui vient simplement puiser de l’eau au puits à l’extérieur de la ville. La scène parle d’elle-même. Il a beau être le Messie, le Fils du Dieu très-Haut, le voici assoiffé, éreinté, épuisé par la chaleur accablante, la fatigue de la route et du ministère. Son humanité, les limites du temps et de l’espace se rappelle à lui. Et elle, qui vient pour ce geste si domestique, si simple d’aller chercher de l’eau pour sa propre vie humaine. Rencontre si simple.
On pourrait être étonné que Jésus traverse cette région qui est en conflit séculaire avec une populaire qui occupe de façon illégitime ce territoire, et ce depuis près de 6 siècles. On pourrait être étonné que Jésus s’adresse à une femme. On pourrait s’interroger sur les motifs de cette femme, sortant à une heure où le soleil brûle et où l’eau n’est sans doute pas la plus rafraîchissante. On pourrait être frappé par la manière dont cette femme prend de l’eau celui qui n’en peut plus, assis au bord de la margelle.
« Donne-moi à boire ». La préface que nous allons entendre tout à l’heure n’y va pas par quatre chemins : « En demandant à la Samaritaine de lui donner à boire, Jésus faisait á cette femme le don de la foi ». Il se présente comme mendiant, et c’est lui qui va l’enrichir. Il demande à être désaltéré et en fait, c’est lui qui lui donne l’eau vive de la foi. Il lui demande de l’aide pour se conserver dans son humanité, et il lui donne les moyens de grandir dans la vie de la foi, dans la vie divine.
Il n’est pas facile de percevoir ce que peut être ce don de la foi. Il se présente comme le Messie, comme celui qui montre le chemin du vrai culte, du Père qu’il convient d’adorer. Elle ne se laisse pas seulement amadouer, elle est retournée par la connaissance et l’amour qu’il a d’elle. « Il m’a dit tout ce que j’ai fait, ne serait-il pas le Messie ? »
La préface insiste : « Il avait un si grand désir d'éveiller la foi dans son coeur, qu'il fit naître en elle l'amour même de Dieu ». C’est le désir du Christ que l’allumer dans le cœur de cette femme le désir de Dieu. Désir d’être connue comme elle est connue de Dieu. Désir d’être aimé comme elle est aimée de Dieu. Désir de vérité et de bonté que seul Dieu peut lui donner. Désir d’un chemin vers le Père que seul ce Messie souffrant peut lui donner.
Plus tard, à un autre soleil de midi, à l’extérieur d’une autre ville, au zénith d’une autre fatigue, ce même Jésus, ce même Messie, demandera « j’ai soif ». Ce cri du crucifié ne trouvera pas beaucoup de compassion, et surtout il refusera l’éponge dérisoire qui aurait pu le désaltérer ou même atténuer ses souffrances.
Mère Teresa de Calcutta a fait inscrire ce cri du Crucifié dans toutes les chapelles de sa Congrégation des Missionnaires de la Charité. « J’ai soif ». Cette phrase, cette demande de mendiant, doit nous poursuivre. Elle déplace l’accent de notre foi. Peut-être vient elle déplacer notre foi, que nous pouvons regarder un peu trop de notre point de vue. Je m’explique : ma foi et mes difficultés à croire et à aimer ; ma foi et mes motifs personnels de m’adresser à Dieu ; ma foi et ce mouvement si intime où je rejoins Dieu.
Cette question renverse la perspective. Jésus a soif de moi, il a soif de nous. Soif d’une présence, soif d’une réponse libre, soif d’une attention, soif d’un désir. Son désir est d’éveiller le nôtre. Sa faim et sa soif de justice est précisément que nous soyons rassasiés de la communion qu’il propose. Et au moins que nous en ayons le désir.
Ce dimanche, nous glissons nos pas dans ceux de cette femme. Comme elle n’a pas de nom, chacun peut y mettre son propre prénom. « J’ai soif. Donne-moi à boire » semble nous dire celui qui vient se reposer à nos côtés. Il a besoin de nous pour se reposer. Il a besoin de notre désir pour étancher sa propre soif. C’est vrai à l’ancien puits de Jacob, un lieu d’alliance et d’échange où Jacob avait mené ses troupeaux, où il avait trouvé son épouse. C’est vrai à la Croix, la source d’eau vive, le vrai puits de Jacob, ou le vrai puits de Moïse, où il scelle la nouvelle Alliance.
« Donne-moi à boire ». Que donnerons-nous en ce jour ? Qu’offrirons-nous à celui qui se présente à nous comme un mendiant, mendiant d’amour, mendiant de présence, mendiant de désir.