Peut-être que, comme moi, vous êtes surpris que, à l’occasion de cette fête du Christ Roi, nous soyons ramenés à l’évènement de la Passion. On nous a dit que c’était la fin de l’année liturgique, la fin de ce cycle qui depuis le 1er dimanche de l’Avent nous a faits regarder, méditer et contempler tous les mystères du Christ et de notre salut. La chronologie nous aidait bien jusqu’à aujourd’hui : Noël, le ministère public, la Pâque, la Pentecôte, le développement de l’Eglise, la Toussaint, la fin des temps, le retour glorieux du Christ dans la gloire. Et aujourd’hui, retour à la Croix, à la Passion, à l’humiliation du Christ. Qu’est-ce que cela a à voir avec le récit de l’intronisation de David comme Roi, ou encore avec la belle contemplation de St Paul, qui regarde le Christ le Premier Né, le principe et le Chef de toutes choses.
Toute la liturgie de ce jour ne nous dit qu’une chose : il est Roi. Le mot est dense, rempli d’une grande équivoque aussi. Roi des Juifs ou Roi de l’Univers. Roitelet ou roi de gloire. Roi terrestre ou Roi céleste. A la Croix, rien ne permet d’élucider cette équivoque. A vrai à la Passion, à ce moment précis de l’histoire du salut, la lumière de la foi semble s’être éteinte pour beaucoup. On raille le Roi des Juifs. On se moque de lui, on le bafoue. Même ses compagnons d’infortune l’insulte.
Sur le trône de la Croix, sous la couronne d’épines, voici donc le roi humilié, rejeté, incompris, mis à mort pour avoir prêché le royaume, et pas n’importe quel royaume, le royaume de Dieu. Au milieu de cette grande imposture des contemporains du Christ en Croix, voici que rayonne la confession de foi de celui qu’on appelle désormais le bon larron. « Souviens toi de moi quand tu viendras dans ton royaume ». Nous voudrions lui poser de nombreuses questions. Comment a-t-il pu pressentir la divinité de celui qui meurt à ses côtés ? Qu’est-ce que ce royaume qu’il pressent ?
La réponse du Christ est tout aussi déconcertante à vue humaine au moins. « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis ». Bossuet, le dijonnais devenu évêque de Meaux, pouvait dire « Aujourd’hui, quelle promptitude ; avec moi, quelle certitude ; au Paradis, quelle béatitude ». Le larron veut le royaume. Le Christ lui promet le paradis. L’homme se contente du souvenir. Dieu lui promet la communion.
Et le voilà notre Roi. Librement et par amour, il fait entrer qui il veut, et qui le veut, dans sa communion. Il lui importe non seulement de vivre avec les siens, mais surtout de régner dans leur cœur pour que chacun s’ouvre au trésor de bonheur et de joie qui sont à partager. Le voici donc le royaume qui n’est pas de ce monde, règne de justice et de paix, d’amour et de vérité.
Ce Royaume est et reste à venir, même il restera toujours un certain paradoxe : ce que nous réalisons, construisons dès ce monde-ci anticipe et annonce le Royaume à venir. Le bx Jean-Paul II résume ce paradoxe dans un très beau passage de son encyclique Sollicitudo Rei Socialis de 1989 : L’Église sait qu’aucune réalisation temporelle ne s’identifie avec le Royaume de Dieu, mais que toutes les réalisations ne font que refléter et, en un sens, anticiper la gloire du royaume que nous attendons à la fin de l’Histoire, lorsque le Seigneur reviendra.
Certes, aucune réalisation n’est satisfaisante. L’histoire et l’actualité nous le rappellent sans cesse. De fait, le Christ ne règne pas socialement, ni économiquement, ni politiquement, ni même dans le droit naturel. Mais, en attendant, il veut régner dans des cœurs qui sauront, même humblement et sur le bout des lèvres, se livrer à sa présence dans un consentement d’amour digne de celui du bon larron.
Finalement, ces lectures, comme toute la fête de ce jour, nous parlent plus du Roi que du Royaume. Et c’est bien ainsi. D’une manière simple, cet ultime dialogue terrestre entre 2 crucifiés nous invitent à contempler comment le Christ introduit dans sa communion les cœurs qui se tournent radicalement vers Lui. C’est le but de cette fête. C’est le but de l’Avent qui va s’ouvrir la semaine prochaine. Que nous levions les yeux vers celui qui vient de la fin pour nous attirer à Lui. Que nous désirions qu’il soit tout en tous. Que nous consentions à ce qu’il soit le Maître. Et cela commence aujourd’hui.