Une fois n’est pas coutume, revenons à la première lecture. Le prophète Elie fuit la reine Jézabel dont il a prophétisé la mort. Le désert accueille sa fuite, avant qu’il n’arrive au terme d’une marche de 40 jours à l’Horeb, la montagne du Sinaï où Dieu avait parlé à Moïse. Au début même de cette marche, voici qu’il est saisi de façon assez naturelle par la fatigue, par un épuisement qui emporte tout : son énergie, son espérance, sa raison de vivre. Lui que le Seigneur a gratifié de miracle et de prodiges, le voici réduit à marcher et à souffrir. Le voilà réduit à la lassitude et à la désespérance que le fait préférer la mort. « Maintenant, Seigneur, c’en est trop, reprends ma vie, je ne vaux pas mieux que mes pères ! ». La vocation prophétique semble être un trop lourd fardeau. Il préfère rendre à Dieu ce qui vient de lui.
C’est alors que le miracle intervient : du pain, de l’eau et la voix de l’ange. Du ciel, l’intervention divine vient rompre la désespérance d’Elie. Elle vient le remettre en route. C’est le pain de la route qui lui est donnée pour son pèlerinage terrestre en vue de l’accomplissement de sa vocation. Il lui faut devenir ce qu’il est. Et pour cela, le Seigneur donne de manière surnaturelle un simple moyen naturel pour le remettre sur la route de son pèlerinage.
De la même manière, Dieu avait donné à Israël le pain de la manne. Vous vous souvenez, c’était la première lecture de la semaine dernière. Chaque matin, le peuple en marche dans le désert trouvait la manne pour la journée. Juste pour la journée. A chacun selon ses besoins et ses capacités. Le miracle a duré pendant les 40 années du désert, jusqu’au jour où ils sont entré en terre promise, et où ils ont mangé les premiers fruits de cette terre.
Voici donc 2 pains de la route donnés sur ce chemin en attendant le but du pèlerinage. La préfiguration de l’Eucharistie est frappante. Le voici le pain du Ciel, le pain des anges, le pain de la route. Le voici ce pain donné pour notre pèlerinage terrestre, en attendant le terme de notre route. Dans ce pèlerinage, on pourrait dire, que le plus important n’est pas tant le terme, que le pas de chaque jour. Notre cardinal Newman disait cela d’une façon ramassée : I don’t ask to see the distant scenes, one step enough for me. Nos vies de compagnonnage avec le Seigneur sont faites de ce lent pèlerinage où nous avançons pas à pas. Et l’important, est justement le pas de chaque jour. Et justement, Dieu se donne chaque jour. Chaque jour, chaque instant, il nous donne de façon surnaturelles les moyens naturels dont nous avons besoin. C’est en cela qu’il est Providence. Et l’Eucharistie en est le magnifique témoignage, le mémorial le plus parlant. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Rien que pour aujourd’hui Dieu nous donne ce pain de la route qui nous fait avancer, qui nous fait devenir ce que nous sommes, des enfants du Père, ou ce que nous recevons des membres du Corps du Christ.
En ce sens, chaque jour, nous avançons, nous progressons. Chaque jour, à chaque halte, à chaque étape où Dieu nous restaure, nous grandissons et nous changeons. Le même cardinal Newman le dit d’une autre manière : « Vivre, c’est changer ; et pour être parfait, il faut changer souvent ». Vivre, c’est changer. A 10 ans, on ne peut le concevoir. A 20 ans, on le découvre mais c’est trop frais. A 40 ans, on pense que rien ne peut être mieux qu’aujourd’hui. A 60 ans, A 80 ans, peut-être qu’on ne voit plus ce qui pourrait changer, sinon que l’on décline.
Mais c’est bien tout l’inverse qui se passe, parce que le Seigneur, qui lui ne change pas, nous appelle et nous attire à lui. Et le temps qui passe est ce vecteur merveilleux où notre histoire personnelle se déroule, où nous pouvons, si nous le voulons, avancer vers la réalisation de notre vocation, de notre être spirituel. Vivre, c’est changer en ce sens, qu’il s’agit de faire grandir l’homme nouveau et décliner le vieil homme. Il s’agit qu’il grandisse et que je diminue.
Pour cela, nous n’avons pas de trop de ce viatique, pain de la route qui nous aide à devenir ce que nous sommes appelés à être. Avec espérance, avec joie également, nous reprenons le pas de chaque jour. Accueillons ce que Dieu donne aujourdh'ui : le pain, le vin, les paroles de l'ange, donnée pour cet instant, rien que pour aujourd'hui.