Dans sa montée à Jérusalem, Jésus passe à Jérico. Il y fait cette rencontre étonnante que seul l’évangéliste saint Luc rapporte. Zachée est vu, discerné par celui qu’il veut voir.
Je dis rencontre étonnante, parce qu’elle aurait pu ne pas se produire. L’homme a une fonction publique de collecteur d’impôt, un peu usurpateur, ou au moins usurier, bref un pécheur public. En plus, sa petite taille l’empêchait de voir et d’être vu. Il n’empêche : Zachée est discerné par le seul Maître, alors même qu’il voulait simplement le voir passer. C’est ce qui arrive : Jésus passe dans son existence. Il laisse ses biens aux pauvres, la moitié seulement ; il accueille le Christ dans sa maison, à sa table. Le salut est advenu pour ce pécheur, aujourd’hui même.
Rencontre étonnante, parce qu’elle ne supporte aucun délai. Vite, il lui faut descendre de l’arbre. Vite, il va à la maison pour accueillir le Christ. Vite il décide la voie de la pauvreté. Vite le Christ reconnaît sa foi de vrai fils d’Abraham. C’est que le salut urge. Comme pour le bon larron, comme pour ceux que le Christ rencontre, lui qui est pressé d’en finir avec la lèpre du péché et de la mort. Aujourd’hui. Pas demain, ni après-demain. Aujourd’hui même.
On pourrait être étonné de la confrontation avec la lettre aux Thessaloniciens. Saint Paul semble y calmer les ardeurs de ceux qui attendent frénétiquement le retour du Christ. Si le Christ est si pressé, alors (pensent-ils), il n’y a plus qu’à l’attendre, sans plus se marier, ni même travailler. Non, dira Saint Paul, il s’agit de vivre simplement et vraiment l’aujourd’hui de Dieu, sans précipitation, ni attente frénétique.
Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison. La maison de Zachée à Jérico résonne de la parole du Seigneur Jésus, comme la synagogue de Nazareth. Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles la parole que vous venez d’entendre. Et pour cause ! Il est la Parole, il est le salut qui advient aujourd’hui.
Par la grâce de la liturgie, cet aujourd’hui n’est pas et ne peut pas être un évènement du passé, dont nous évoquerions la pieuse mémoire. Il nous faudrait alors aller avec une douce nostalgie nous recueillir devant le sycomore qui trône, encore aujourd’hui à l’entrée de Jérico. Non. L’aujourd’hui de Dieu, c’est cet instant où Sa Parole et Son Salut sont comme réactualisés. Comment cela ? De deux manières :
Aujourd’hui Jésus passe dans l’existence de chacun, comme il a traversé celle de Zachée. Il venait avec son désir confus, curieux et distant. Le voici rejoint, discerné et surtout converti. Jésus est passé en lui. Il passe en nous. L’Ecriture ne cesse de témoigner de l’invitation de cet Hôte divin : « Voici que je me tiens à la porte et je frappe, si tu m’ouvres, je prendrai mon repas chez toi ». Il s’invite à la table des pécheurs que nous sommes. Lui le Maître de la vie, il fait advenir le salut. Quelles que soient nos désirs et nos motivations, lui, l’Ami des hommes, le Créateur passe en nous pour nous rejoindre, nous discerner et œuvrer en nous en vue d’une conversion, pour nous entraîner vers le Père. Aujourd’hui le salut est arrivé pour la maison que je suis.
Aujourd’hui encore, dans la liturgie de l’Eglise, Jésus passe en s’invitant à la table de l’Eglise. Il passe en se rendant présent dans l’assemblée que nous formons, dans la Parole que nous recevons, dans les sacrements que nous célébrons. Il s’invite à la table que nous formons, pour demeurer en nous. Voilà qui pourrait vérifier, et peut-être changer notre regard sur la liturgie. C’est le moment où Il passe pour demeurer en nous et nous faire passer vers le Père. L’Eucharistie, sommet de cette invitation de Dieu, est bien l’actualisation de ce salut qui advient aujourd’hui, en cet instant, pour chacun de nous et pour l’Eglise. L’Eucharistie vient tout autant de l’évènement pascal en traversant le temps. Mais elle vient également de la gloire à venir en s’approchant de nous. Dieu vient aujourd’hui. Le salut advient ici et aujourd’hui. Sans regarder nostalgiquement en arrière, ni anxieusement en avant, accueillons aujourd’hui Celui qui vient au nom du Seigneur. Il est le Salut.