Nous sommes à Cana en Galilée, à environ 10 km de Nazareth sur la route du lac. Il y a un mariage, une fête humaine, la célébration de l'amour humain d'un couple. Il y a Marie. Et il y a Jésus avec ses disciples.
Cette page d'Evangile a saveur des débuts. Les commencements d'une vie nouvelle pour ce couple. Les prémices d'une vie nouvelle pour les disciples de Jésus. Au seuil de cette vie nouvelle, comme un sacrement, il y a ce miracle de Cana que nous connaissons par cœur. L'eau changée en vin, pour la joie des convives et la surprise des assistants. Premier des signes de Jésus. Signe inaugural du ministère public de Jésus. Voilà donc Jésus : il guérira les sourds, les muets, les aveugles et les estropiés de toutes sortes, il chassera les démons, il pardonnera les péchés, il ressuscitera les morts. Mais voilà ce premier miracle, modeste en apparence, mais d'une portée qu'il nous faut redécouvrir.
Tout d'abord l'invitation. Jésus est invité et ne n'invite pas. Comme dans le livre de l'Apocalypse, il ne force pas la porte. « Voici que je me tiens à la porte et je frappe, si tu m'ouvre ton cœur, je ferai chez toi ma demeure, et je prendrai chez toi mon repas » (Ap 3,16). Il frappe à la porte de notre être, sollicitant notre réponse, c'est-à-dire notre liberté. Te rendras tu de lui ouvrir, de répondre à sa présence, bref de l'inviter. Mais il est invité à une fête humaine. Invité à partager la joie profonde de ce couple et de cette famille. Invité à la table commune, invité à cette profonde familiarité. Voilà qui pourrait nous suffire pour la portée de ce miracle.
Il aurait pu se contenter de partager à notre table nos joies humaines, mais il a voulu combler leur indigence. L'indigence profonde à laquelle il va remédier. Ils manquent de vin. Ils n'ont pas de vin dit Marie, et peut-être n'en ont-ils jamais eu. Il leur manque profondément cette joie, ce bonheur, ce salut auquel ils aspirent et qu'ils ne peuvent se donner à eux-mêmes. Le Christ seul peut leur donner, pardon nous donner, cette ivresse profonde, signe du salut que Dieu veut pour nous. Encore faut-il que nous connaissions et reconnaissions devant lui notre indigence, nos manques les plus profonds et précis. Nous donner ce dont nous manquons radicalement, voilà qui nous aurait suffit.
Il aurait pu se contenter de donner ce vin, mais il a voulu le faire en changeant l'eau apportée par les serviteurs. Il réalise ce miracle à partir de ce que nous apportons, comme les cinq pains et les deux poissons apportés par le petit garçon lors de la multiplication des pains. Le miracle suppose une collaboration humaine, des serviteurs quelconques que nous sommes. Il ne fait rien sans nous. Il ne nous donne pas ce vin de sa charité toute divine sans que nous-mêmes n'apportions l'eau de nos pauvres désirs, de nos amours humains. Il ne vient pas nous sauver de notre humanité, mais il vient nous sauver dans notre humanité. La goutte d'eau que je verserai tout à l'heure dans le calice de vin en est comme le signe muet. Et c'est là le miracle profond : il nous divinise. Les pères orientaux sont comme éblouis, fascinés par cette réalité, là où les théologiens occidentaux y verront le rachat des nos fautes. Divinisés par le feu qui nous associe à lui. Divinisés par une grâce qui vient nous associer à elle. Et c'est vrai, c'est réel, sans quoi il faut partir en courrant. Changer notre eau en vin, voilà qui aurait pu nous suffire.
Mais il l'a fait dans un mariage. Le premier des signes de Jésus a lieu pendant un mariage, pendant des noces humaines. Comme le prophète Isaïe et d'autres prophètes en parlent, Dieu veut des Noces pour son peuple : les noces de la joie, les Noces où il s'unit à l'humanité pour sa joie et pour Sa gloire. Dieu est l'Ami des hommes. Il est le Bien Aimé qui veut combler Sa bien-aimée. Dans ce repas des Noces, l'eau est changée en vin en est la préfiguration, en attendant les Noces où il sera lui-même la nourriture de ce repas. Déjà le vin rouge de Cana annonce le sang versé à la Croix, ce sang qui nous sauve, nous lave et nous purifie.
Déjà nous participons à ces Noces de l'Agneau, chaque dimanche, chaque jour même. Ici, dans cette Eucharistie, nous sommes à Cana. Ici, aujourd'hui même, nous l'invitons à notre table et il consent à être familier avec nous. Ici il comble notre indigence la plus profonde. Ici, il change l'eau de notre amour en vin de sa charité. Ici, il se révèle comme l'Epoux des Noces éternelles en appelant chacun : Celui qui a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive ! Avez-vous soif de lui ? Accepterez-vous d'être à ce point associés à lui ? Tout est prêt : venez aux Noces !
Commentaires
Merci pour cette belle homélie qui m'a rappelé le temps pas si lointain où nous t'entendions ici nous exhorter à la suite du Christ !
Je retiens surtout cela : le christ n'est pas venu nous enlever à notre humanité, mais la sauver, la transfigurer...