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Eglise universelle - Page 4

  • Pie XII : et si Marianne se trompait ?

    900353-1066422.jpg?v=1263212815L'article est bel et bien tiré du site de l'hebdomadaire Marianne.

    Notre une du samedi 02 janvier « le pape qui garda le silence face à Hitler », qui traitait de la possible béatification de Pie XII, a fait réagir. Y compris parmi nos chroniqueurs réguliers. Parmi eux, Roland Hureaux estime que, face à la Shoah, Pie XII a agi en homme responsable plutôt qu'en donneur de leçons.

    Selon une thèse devenue désormais classique, Max Weber distingue l’éthique  de la responsabilité et l’éthique de  la  conviction. L’homme de conviction est  soucieux de témoigner de ce qu’il croit juste, même si cela le prive de moyens d’action , voire a des effets pratiques négatifs. L’homme de responsabilité s’efforce de calculer dans chaque circonstance  les effets positifs et négatifs de ce qu’il dit et fait et mesure ses  propos en fonction de cela.

    Devant  ce dilemme, il est évident que, depuis toujours, les chefs de l’Eglise catholique se situent du côté de l’éthique de la  responsabilité. Parce que, contrairement à ce que pourraient laisser penser certains, les bons chrétiens ne sont pas des adolescents attardés, et parce que l’Eglise catholique a des responsabilités effectives : entre 1939 et 1945, celle de millions de catholiques mais aussi de centaines de milliers de juifs réfugiés dans les institutions (1) !  

    Il y a une immaturité inouïe à imaginer que le pape aurait pu prendre la parole à tort et à travers sans se préoccuper d’abord de cette responsabilité. C’est toute la différence avec un Bernard -Henri  Levy ou d’autres  intellectuels médiatiques qui peuvent, à Sarajevo ou à Tbilissi, faire des proclamations destinées à passer dans l’histoire (y passeront-elles ? c’est une autre affaire) sans se préoccuper de leurs effets.

    C’est aussi plus largement la différence entre la morale classique, issue d’Aristote et des stoïciens, fondée sur  l’objectivité et une morale existentialiste  fondée sur la subjectivité, où le bien consiste à rechercher en chaque circonstance la posture « moralement correcte », à sculpter, de pose en pose, la statue sublime de quelqu’un qui aura toujours été du bon côté.

    Le Pape n'est pas un prophète
    Il est vrai que la tradition de l’Eglise assigne aussi aux papes et aux évêques une fonction «prophétique».  Mais les prophètes de la Bible se situaient en dehors des institutions et n’avaient aucune responsabilité; ils pouvaient de ce fait, sans autre risque que pour eux-mêmes, invectiver les pouvoirs en place. Il est évident que ce n’est pas la  position d’un pape ou d’un évêque qui est d’abord un « pasteur », c’est-à-dire,  selon la même Bible, l’homme qui garde le troupeau contre les loups.

    Ces évidences posées, il est clair que ce qu’il convient de faire dans le cadre de l’éthique de la responsabilité est affaire de circonstances. Rien ne permet de dire que, par rapport à telle situation, le pape aurait pu, en étant moins « prudent », améliorer la balance bien/mal. Il faut une présomption singulière à ceux qui n’ont  pas vécu les mêmes événements, ni jamais exercé des responsabilités analogues,  pour porter des jugements péremptoires à ce sujet.

    Dans cette logique, il est aussi choquant d’entendre certains catholiques dire que le procès en béatification est une question interne à l’Eglise, une affaire de sacristie en quelque sorte, qui ne concernerait que les vertus privées du pape, sans considération de son rôle historique. Nul doute que si l’ «avocat du diable » (une fonction officielle dans la procédure en cours !)  arrive à prouver que dans telle ou telle circonstance le comportement du pape   a eu des effets négatifs sur les juifs ou sur d’autres, il ne saurait être canonisé.

    Comme le dit Serge Klarsfeld (2), une prise de parole solennelle lors de la rafle des juifs de Rome aurait   « sûrement amélioré la propre réputation de Pie XII aujourd’hui. » Mais quel criminel aurait-il été s’il avait, pour forger son image devant l’histoire ou même préserver l’honneur de l’institution, sacrifié la vie ne serait-ce que d’un des milliers d’enfants  juifs réfugiés  dans les jardins de Castel Gondolfo et de multiples couvents !

    Une prise de parole utile ?
    Il faut une singulière méconnaissance de ce qu’avait été le régime nazi pour imaginer que ce genre de proclamations aurait pu l’émouvoir. L’exemple souvent cité de la protestation forte des évêques hollandais face  la déportation des juifs  qui a attiré des représailles non seulement sur les catholiques mais surtout sur les juifs qu’ils protégeaient, est éloquent par lui-même.

    On dit qu’une parole plus nette du pape aurait au moins pu faire entrer les catholiques dans la résistance. Tiens donc ! Les officiers catholiques allemands auraient compris que leur devoir était d’assassiner Hitler. Pie XII n’ayant rien dit, ils n’y ont pas pensé !

    Comment peut-on dire aussi que le pape n’a rien dit contre le nazisme alors qu’il avait été le sherpa qui rédigea de bout en bout l’encyclique  Mit brennender sorge  (1937).

    Il fut, dit-on, obsédé par l’anticommunisme. Parole légère s’il en est ! Oublie-t-on qu’entre août 1939 et juin 1941, Hitler et Staline  sont alliés, un plan d’extermination des prêtres et des élites polonaises est à l’œuvre et des centaines de milliers de catholiques  polonais  assassinés. Pas de protestation mémorable non plus. Pourquoi ? Je ne sais.  

    On reproche assez à l’Eglise ses interdits, ses censures, ses condamnations souvent bruyantes et si impopulaires mais elles ne visent généralement que les siens avec le but et donc l’espoir de les réformer.

    Rien de tel en la circonstance ; comme tous les papes, Pie XII croyait au diable et, de propos privés qu’il a tenus, il semble qu’il ait considéré Hitler comme un possédé. Nonce en Allemagne sous la République de Weimar (3), il ne se faisait en tous cas aucune illusion sur le personnage et savait mieux que quiconque l’abîme du mal auquel l’Europe était alors confrontée. Il savait que, face  à la « Bête immonde », rien ne sert  de chercher à l’attendrir, il faut en priorité limiter les dégâts en n’attisant pas sa fureur.
    Rien à voir dans cette attitude avec le pétainisme un peu ballot des évêques français. Le célèbre regard  immobile de Pie XII derrière ses lunettes rondes n’est pas celui d’un couard paralysé par la trouille, mais celui d’un homme totalement lucide sur l’ampleur de la catastrophe et pénétré de son immense   responsabilité.

    De fait, le vrai mystère de Pie XII n’est pas tant son comportement pendant la guerre que la lecture qui en est faite soixante  ans après. Comment ce pape qui fit de son vivant l’objet d’éloges unanimes du monde juif  (Ben Gourion, Golda Meir, Albert Einstein, Léo Kubowitski, secrétaire du Congrès juif mondial, le gand rabbin de Rome etc) et non juif, peut être aujourd’hui ainsi vilipendé ?

    Le basculement s’est fait avec la pièce « Le Vicaire » (1963), œuvre littéraire et non  historique due à un personnage douteux, proche des milieux négationnistes. Il coïncide surtout avec l’émergence de la génération d’après-guerre dont l’irresponsabilité en tant de domaines avait besoin d’un paravent idéologique : identifier, dans la ligne de l’Ecole de Francfort et au rebours du vécu des contemporains, nazisme et tradition en fut une des clefs de voûte.

    Mais quelque archéologie qu’on en fasse (au sens de Michel Foucault), la lecture rétrospective  du comportement de Pie XII n’en demeure pas moins un  mystère. « Bienheureux êtes vous si l’on vous insulte, si l’on vous calomnie de toutes manières à cause de moi ». (Mt 5, 11). Ceux qui font de Pie XII un « bienheureux » ne sont peut-être pas ceux que l’on croit.

    1) Est-il nécessaire de dire que ces centaines de milliers de Juifs cachés dans les institutions catholiques ne l’étaient pas à l’insu du pape ou malgré lui ?  
    2) Le Point, 24/12/2009
    3) C’est à cette époque qu’il fut photographié à la sortie d’une réception, des militaires allemands lui rendant les honneurs. Comme ils portent déjà l’uniforme des soldats nazis, l’usage pas toujours innocent de cette photo  prête à confusion.
  • 'Réveillez-vous' : homélie de Benoît XVI pour Noël

    benoit-xvi-noel_article.jpgChers Frères et Sœurs,

    «Un enfant nous est né, un fils nous a été donné » (Is 9, 5). Ce qu’Isaïe, regardant de loin vers l’avenir, dit à Israël comme consolation dans ses angoisses et dans l’obscurité, l’Ange, nimbé de lumière, l’annonce aux bergers comme présent : « Aujourd’hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur » (Lc 2, 11). Le Seigneur est présent. À partir de ce moment, Dieu est vraiment un « Dieu avec nous ». Il n’est plus le Dieu lointain qui, à travers la création et au moyen de la conscience, peut de quelque façon être entrevu de loin. Il est entré dans le monde. Il est le Proche. Le Christ ressuscité l’a dit aux siens, à nous : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Pour vous est né le Sauveur : ce que l’Ange a annoncé aux bergers, Dieu aujourd’hui nous le rappelle par l’Évangile et par ses messagers. C’est une nouvelle qui ne peut nous laisser indifférents. Si elle est vraie, tout est changé. Si elle est vraie, elle me concerne moi aussi. Alors, comme les bergers, je dois dire moi aussi : Allez, je veux aller à Bethléem et voir la Parole qui, là, est advenue. L’Évangile ne nous raconte pas sans raison l’histoire des bergers. Ces derniers nous montrent comment répondre de façon juste à ce message qui nous est aussi adressé. Que nous disent alors ces premiers témoins de l’incarnation de Dieu ?

    Des bergers, il est dit avant tout qu’ils étaient des personnes vigilantes et que le message pouvait les rejoindre précisément parce qu’ils étaient éveillés. Nous devons nous réveiller, parce que le message est arrivé jusqu’à nous. Nous devons devenir des personnes vraiment vigilantes. Qu’est-ce que cela signifie ? La différence entre celui qui rêve et celui qui est éveillé consiste tout d’abord dans le fait que celui rêve se trouve dans un monde particulier. Avec son moi, il est enfermé dans ce monde du rêve qui, justement, n’est que le sien et ne le relie pas aux autres. Se réveiller signifie sortir de cet état particulier du moi et entrer dans la réalité commune, dans la vérité qui, seule, nous unit tous. Les conflits dans le monde, les difficultés relationnelles proviennent du fait que nous sommes enfermés dans nos propres intérêts et dans nos opinions personnelles, dans notre minuscule monde intérieur. L’égoïsme, celui du groupe comme celui de l’individu, nous tient prisonnier de nos intérêts et de nos désirs, qui s’opposent à la vérité et nous séparent les uns des autres. Réveillez-vous, nous dit l’Évangile. Venez dehors pour entrer dans la grande vérité commune, dans la communion de l’unique Dieu. Se réveiller signifie ainsi développer sa sensibilité pour Dieu, pour les signes silencieux par lesquels il veut nous guider, pour les multiples indices de sa présence. Il y a des personnes qui disent être « religieusement privées d’oreille musicale ». L’aptitude à percevoir Dieu semble presque un don qui est refusé à certains. Et en effet – notre manière de penser et d’agir, la mentalité du monde contemporain, l’éventail de nos diverses expériences sont de nature à affaiblir la sensibilité à Dieu, à nous « priver d’oreille musicale » pour Lui. Et pourtant dans toute âme est présente, de façon cachée ou ouverte, l’attente de Dieu, la capacité de le rencontrer. Pour obtenir cette vigilance, cet éveil à l’essentiel, nous voulons prier, pour nous-mêmes et pour les autres, pour ceux qui semblent être « privés d’oreille musicale » et chez qui, cependant, le désir que Dieu se manifeste est vif. Le grand théologien Origène a dit : si j’avais eu la grâce de voir comme a vu Paul, je pourrais à présent (durant la Liturgie) contempler une multitude d’anges (cf. in Lc 23, 9). En effet – dans la sainte Liturgie, les anges de Dieu et les saints nous entourent. Le Seigneur lui-même est présent au milieu de nous. Seigneur, ouvre les yeux de nos cœurs, afin que nous devenions vigilants et voyants et qu’ainsi nous puissions aussi porter ta proximité aux autres.

    Revenons à l’Évangile de Noël. Celui-ci nous raconte que les bergers, après avoir entendu le message de l’ange, se dirent l’un à l’autre : « Allons jusqu’à Bethléem … Ils y allèrent, sans délai » (Lc 2, 15ss). « Il se hâtèrent » dit littéralement le texte grec. Ce qui leur avait été annoncé était si important qu’ils devaient se mettre en route immédiatement. En effet, ce qui leur avait été dit là, allait absolument au-delà de l’ordinaire. Cela changeait le monde. Le Sauveur est né. Le Fils de David attendu est venu au monde dans sa ville. Que pouvait-il y avoir de plus important ? Bien sûr, la curiosité les poussait aussi, mais par-dessus tout la fébrilité liée à la grande réalité qui leur avait été communiquée précisément à eux, des petits et des hommes apparemment insignifiants. Ils se pressèrent – sans hésitation. Dans notre vie ordinaire, il n’en va pas ainsi. La majorité des hommes ne considère pas comme prioritaires les affaires de Dieu, celles-ci ne nous pressent pas immédiatement. Et nous aussi, pour l’immense majorité, nous sommes disposés à les renvoyer à plus tard. Avant tout nous faisons ce qui, ici et maintenant, apparaît urgent. Dans la liste des priorités, Dieu se retrouve souvent presqu’à la dernière place. Il sera toujours temps – pense-t-on – de s’en préoccuper. L’Évangile nous dit : Dieu a la plus grande priorité. Si quelque chose dans notre vie mérite urgence, c’est, alors, seulement la cause de Dieu. Une maxime de la Règle de saint Benoît dit : « Ne rien placer avant l’œuvre de Dieu (c’est-à-dire avant l’office divin) ». La Liturgie est, pour les moines, la priorité première. Tout le reste vient après. Toutefois, au fond, cette phrase vaut pour chaque homme. Dieu est important, il est dans l’absolu la réalité la plus importante de notre vie. C’est précisément cette priorité que nous enseignent les bergers. Nous voulons apprendre d’eux à ne pas nous laisser écraser par toutes les choses urgentes de la vie quotidienne. Nous voulons apprendre d’eux la liberté intérieure de mettre au second plan les autres occupations – pour importantes qu’elles soient – pour nous approcher de Dieu, pour le laisser entrer dans notre vie et dans notre temps. Le temps consacré à Dieu et, à partir de Lui, à notre prochain n’est jamais du temps perdu. C’est le temps dans lequel nous vivons vraiment, dans lequel nous vivons en tant que personnes humaines.

    Certains commentateurs font remarquer que ce sont, en premier lieu, les bergers, les âmes simples qui sont venus auprès de Jésus dans la crèche et qui ont pu rencontrer le Rédempteur du monde. Les sages venus d’Orient, les représentants de ceux qui ont rang et renommée, viendront beaucoup plus tard. Les commentateurs ajoutent : ceci va de soi. Les bergers, en effet, habitaient à côté. Ceux-ci n’avaient qu’à « traverser » (cf. Lc 2, 15) comme on parcourt une courte distance pour se rendre chez les voisins. Les savants, en revanche, habitaient loin. Ceux-ci devaient parcourir un chemin long et difficile, pour arriver à Bethléem. Et ils avaient besoin d’un guide et d’indication. Eh bien, aujourd’hui encore, existent des âmes simples et humbles qui demeurent toutes proches du Seigneur. Celles-ci sont, pour ainsi dire, ses voisins et peuvent facilement aller chez Lui. Mais la majeure partie de nous, hommes modernes, vit loin de Jésus Christ, de Celui qui s’est fait homme, du Dieu venu au milieu de nous. Nous vivons dans les réflexions, dans les affaires et dans les occupations qui nous absorbent entièrement et depuis lesquelles le chemin vers la crèche est très long. De multiples manières, Dieu doit sans cesse nous pousser et nous aider, afin que nous puissions sortir de l’enchevêtrement de nos pensées et de nos engagements et trouver le chemin qui va vers Lui. Mais pour tous, il y a un chemin. Pour tous, le Seigneur dispose des signes adaptés à chacun. Il nous appelle tous, pour que nous aussi puissions dire : Allons, « traversons », allons jusqu’à Bethléem – vers ce Dieu, qui est venu à notre rencontre. Oui, Dieu s’est mis en chemin vers nous. De nous-mêmes, nous ne pourrions le rejoindre. Le chemin dépasse nos forces. Mais Dieu est descendu. Il vient à notre rencontre. Il a parcouru la plus grande partie du chemin. Maintenant, il nous demande : Venez et voyez combien je vous aime. Venez et voyez que je suis ici. Transeamus usque Bethleem, dit la Bible latine. Allons ! Dépassons-nous nous-mêmes ! Faisons-nous, de mille manières, voyageurs vers Dieu en étant intérieurement en route vers Lui. Mais aussi par des chemins très concrets – dans la Liturgie de l’Église, dans le service du prochain, où le Christ m’attend.

    Écoutons encore une fois directement l’Évangile. Les bergers se dirent l’un à l’autre la raison pour laquelle ils se mettent en chemin : « Voyons ce qui est arrivé ». Littéralement, le texte grec dit : « Voyons cette Parole, qui, là, est advenue ». Oui, telle est la nouveauté de cette nuit : la Parole peut être contemplée. Puisqu’elle s’est faite chair. Ce Dieu dont on ne doit faire aucune image, parce que toute image ne pourrait que l’amoindrir, et même le déformer, ce Dieu s’est rendu, Lui-même, visible en Celui qui est sa véritable image, comme dit Paul (cf. 2 Co 4, 4 ; Col 1, 15). Dans la figure de Jésus Christ, dans toute sa vie et son agir, dans sa mort et dans sa résurrection, nous pouvons regarder la Parole de Dieu et donc le mystère du Dieu vivant Lui-même. Dieu est ainsi. L’ange avait dit aux bergers : « Voilà le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Lc 2, 12 ; cf. 16). Le signe de Dieu, le signe qui est donné aux bergers et à nous, n’est pas un miracle bouleversant. Le signe de Dieu est son humilité. Le signe de Dieu est qu’Il se fait petit ; devient enfant ; se laisse toucher et sollicite notre amour. Comme nous désirerions, nous les hommes, un signe différent, un signe imposant, irréfutable du pouvoir de Dieu et de sa grandeur. Mais son signe nous invite à la foi et à l’amour, et en conséquence, nous donne l’espérance : ainsi est Dieu. Il possède le pouvoir et Il est la Bonté. Il nous invite à devenir semblables à Lui. Oui, nous devenons semblables à Dieu, si nous nous laissons façonner par ce signe ; si nous apprenons, nous-mêmes, l’humilité et ainsi la vraie grandeur ; si nous renonçons à la violence et ne recourrons qu’aux seules armes de la vérité et de l’amour. Origène, suivant une parole de Jean-Baptiste, a vu l’expression de l’essence du paganisme dans le symbole de la pierre : le paganisme est un manque de sensibilité, il signifie un cœur de pierre qui est incapable d’aimer et de percevoir l’amour de Dieu. Origène dit des païens : « Privés de sentiment et de raison, ils se transforment en pierres et en bois » (in Lc 22,9). Le Christ veut, cependant, nous donner un cœur de chair. Quand nous le voyons Lui, le Dieu qui est devenu enfant, notre cœur s’ouvre. Dans la Liturgie de la Sainte Nuit, Dieu vient à nous en tant qu’homme, afin que nous devenions vraiment humains. Écoutons encore Origène : « En effet, à quoi bon pour toi que le Christ soit venu une fois dans la chair, s’Il ne venait pas jusqu’en ton âme ? Prions pour qu’il vienne quotidiennement à nous et que nous puissions dire : je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi (Ga 2, 20) » (in Lc 22,3).

    Oui, nous voulons prier pour cela au cours de cette Sainte Nuit. Seigneur Jésus Christ, toi qui es né à Bethléem, viens à nous ! Entre en moi, dans mon âme. Transforme-moi. Renouvelle-moi. Fais que moi et nous tous, de pierre et de bois, devenions des personnes vivantes, dans lesquelles ton amour se rende présent et le monde soit transformé.

  • Note concernant le décret sur les vertus héroïques de Pie XII

    logo-vatican.jpgCITE DU VATICAN, 23 DEC 2009 (VIS). Le Directeur de la Salle-de-Presse du Saint-Siège, le Père Federico Lombardi, SI, a fait part de la note suivante sur la signature du décret sur les vertus héroïques du Serviteur de Dieu Pie XII.

    "La signature par le Pape du décret sur les vertus héroïques de Pie XII a suscité diverses réactions dans le monde juif, probablement car il s'agit d'une signature dont le sens est clair pour l'Eglise catholique et les experts en la matière, mais qui mérite quelque explication pour un public plus large, en particulier les juifs, très sensibles, de façon compréhensible, à cette période historique de la Seconde Guerre mondiale et de l'Holocauste".

    Lorsqu'un Pape signe un décret sur les vertus héroïques d'un Serviteur de Dieu...il confirme l'évaluation positive que la Congrégation pour les causes des saints a déjà votée... Naturellement, dans cette évaluation, les circonstances dans lesquelles la personne a vécu sont prises en compte. Un examen attentif d'un point de vue historique est ensuite nécessaire, mais l'évaluation se réfère essentiellement au témoignage de vie chrétienne donnée par cette personne (sa relation intense avec Dieu et sa recherche perpétuelle de la perfection évangélique)...et non à l'évaluation de la portée historique de toutes ses décisions".

    Lors de la béatification de Jean XXIII et de Pie IX, Jean-Paul II disait: "La sainteté vit dans l'histoire et chaque saint n'est pas exempt des limites et des conditionnements propres de notre humanité. En béatifiant un de ses fils, l'Eglise ne célèbre pas les choix historiques particuliers qu'il a fait, mais le désigne plutôt en imitation et vénération de ses vertus louant la grâce divine qui resplendit en elles".

    Ainsi, elle n'entend donc pas limiter au minimum la discussion autour des choix concrets faits par Pie XII dans la situation dans laquelle il se trouvait. Pour sa part, l'Eglise affirme qu'ils ont été pris dans la seule intention d'accomplir au mieux le service de très haute et importante responsabilité du Pape. Ainsi, l'attention et la préoccupation de Pie XII pour le sort des juifs, qui ont certainement été prises en compte pour l'évaluation de ses vertus, ont été largement témoignées et reconnues même par de nombreux juifs".

    C'est pourquoi, la recherche et l'évaluation des historiens dans leur domaine spécifique, reste ouverte. Et dans le cas présent, on comprend la demande d'ouverture de toutes les possibilités de recherches sur les documents...Pour l'ouverture complète des archives, comme il a été dit plusieurs fois déjà, il faut d'abord procéder à la mise en ordre et au classement d'une masse énorme de documents qui demande techniquement un délai de quelques années encore.

    Le fait que les décrets sur les vertus héroïques des papes Jean-Paul II et de Pie XII, ont été promulgués le même jour, ne signifie pas un alignement des deux causes à partir d'aujourd'hui. Elles sont complètement indépendantes et suivront chacune leur propre chemin. Il n'y a donc pas lieu d'envisager une éventuelle béatification simultanée.

    Il est donc clair que la récente signature du décret ne doit en aucune façon être vue comme un acte hostile envers le peuple juif, et nous espérons qu'elle ne soit pas considérée comme un obstacle au dialogue entre le judaïsme et l'Eglise catholique. Il est bien sûr souhaité que la prochaine visite du Pape à la Synagogue de Rome soit l'occasion de réaffirmer et de renforcer en toute cordialité ces liens d'amitié et d'estime.

  • Radiomessage de Pie XII, Noël 1942

    mediator-dei-pie-XII.JPGNOËL ET L'HUMANITÉ SOUFFRANTE

    C'est toujours avec une fraîcheur nouvelle de joie et de piété, chers fils de l'univers entier, que chaque année, au retour de Noël, de la crèche de Bethléem résonne à l'oreille des chrétiens, prolongeant doucement son écho dans leurs coeurs, le message de Jésus, lumière brillant au milieu des ténèbres. Ce message éclaire de la splendeur des vérités célestes un monde plongé dans la nuit de tragiques erreurs ; il infuse une joie débordante et confiante à une humanité accablée de l'angoisse d'une profonde et amère tristesse ; il annonce la liberté aux fils d'Adam engagés dans les chaînes du péché et du crime ; il promet miséricorde, amour et paix aux masses innombrables de ceux qui souffrent et qui sont dans la tribulation, qui pleurent sur leur félicité perdue, sur leurs énergies brisées dans la tourmente des luttes et des haines de nos jours orageux.

    Les cloches sacrées, porteuses de ce message à tous les continents, ne rappellent pas seulement le don divin fait à l'humanité à l'aurore de l'ère chrétienne ; elles annoncent et proclament aussi une consolante réalité présente, une réalité toujours aussi éternellement jeune qu'elle est toujours vivante et vivifiante ; la réalité de la « véritable lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde » et qui ne connaît pas de déclin. Le Verbe éternel, Voie, Vérité et Vie, naissant dans la misère d'une grotte et, par là, ennoblissant et sanctifiant la pauvreté, préludait ainsi à sa mission d'enseignement, de salut, de rédemption du genre humain ; il prononçait et consacrait une parole qui est encore aujourd'hui la parole de vie éternelle, capable de résoudre les problèmes les plus angoissants, jamais résolus et toujours insolubles pour qui les aborde avec des vues et des moyens éphémères et purement humains, problèmes pourtant qui se posent sanglants et exigent impérieusement une réponse qui satisfasse la pensée et les sentiments d'une humanité aigrie et exarcerbée.

    Le misereor super turbam est pour Nous un mot d'ordre sacré, inviolable, qui vaut et qui stimule en tout temps, dans toutes les situations humaines, tout comme il était la devise de Jésus. Et l'Eglise se renierait elle-même, elle cesserait d'être mère si elle demeurait sourde au cri d'angoisse que ses enfants de toutes les classes de l'humanité font monter à ses oreilles. Elle n'entend point prendre parti pour l'une ou l'autre des formes particulières et concrètes par lesquelles les divers peuples ou Etats tendent à résoudre les problèmes gigantesques de leur organisation intérieure comme de la collaboration internationale, si ces solutions respectent la loi divine. Mais, d'autre part, « colonne et base de la vérité » (r Tim., 3, 15), gardienne par volonté de Dieu et par mandat du Christ de l'ordre naturel et surnaturel, l'Eglise ne peut pas renoncer à proclamer devant ses enfants et à la face du monde entier, les lois fondamentales inviolables, à les protéger contre toute déformation, contre toute obscurité, contre toute corruption, contre toute erreur ou contre toute fausse interprétation, d'autant plus que c'est de leur observation, et non pas seulement de l'effort d'une volonté noble et généreuse que dépend en fin de compte la solidité de tout nouvel ordre national et international réclamé par les voeux ardents de tous les peuples. De ces peuples, Nous connaissons les qualités de courage et de sacrifice, mais aussi leurs angoisses et leurs douleurs, et à tous, sans aucune exception, en ces heures d'inexprimables épreuves et conflits, Nous Nous sentons attaché par les liens d'un amour profond, impartial, indéfectible et par l'immense désir de leur apporter tous les soulagements, tous les secours qui, de quelque manière, sont en Notre pouvoir.

    RELATIONS INTERNATIONALES ET ORDRE INTÉRIEUR DES NATIONS

    Notre dernier message de Noël exposait les principes suggérés par la pensée chrétienne pour l'établissement d'un ordre de vie commune et de collaboration internationale conforme aux lois divines. Aujourd'hui, assuré de l'accord et de l'intérêt de tous les gens de bien, Nous voulons Nous arrêter avec une attention toute particulière et une égale impartialité sur les règles fondamentales de l'ordre intérieur des Etats et des peuples. Relations internationales et ordre intérieur sont intimement liés, l'équilibre et l'harmonie entre nations dépendant de l'équilibre intérieur et de la maturité intérieure de chaque Etat dans le domaine matériel, social et intellectuel. De fait, il est impossible d'établir un front de paix vers l'extérieur solide et assuré, à moins qu'un front de paix à l'intérieur n'inspire confiance. Seule donc l'aspiration à une paix intégrale dans les deux ordres réussira à libérer les peuples de l'affreux cauchemar de la guerre, à atténuer ou à enrayer progressivement les causes matérielles et psychologiques de nouvelles ruptures d'équilibre et de nouveaux bouleversements.

    LES DEUX ÉLÉMENTS DE LA PAIX SOCIALE

    Toute communauté sociale digne de ce nom tire son origine d'une volonté de paix et tend en retour à la paix, à cette « tranquille vie dans l'ordre », dans laquelle saint Thomas faisant écho à la parole connue de saint Augustin, voit l'essence même de la paix. Deux éléments primordiaux régissent donc la vie sociale : communauté dans l'ordre, communauté dans la tranquillité.

    1° COMMUNAUTÉ DANS L'ORDRE

    L'ordre, base de la vie sociale entre les hommes, c'est-à-dire entre des êtres intelligents et moraux tendant à atteindre un but en harmonie avec leur nature, n'est pas une simple juxtaposition de parties numériquement diverses ; il est plutôt et il doit être une tendance vers la réalisation toujours plus parfaite d'une unité interne, qui n'exclut pas les différences fondées sur la réalité et sanctionnées par la volonté du Créateur ou par des lois surnaturelles.

    Une claire intelligence des bases normales de toute vie sociale est d'une importance capitale, aujourd'hui plus que jamais, alors que l'humanité empoisonnée par le virus d'erreurs ou de perversions sociales, tourmentée par la fièvre de désirs, de doctrines, de tendances divergents, se débat avec angoisse dans le désordre qu'elle-même a créé et ressent les effets de la force destructrice d'idées sociales erronées, qui laissent de côté les lois de Dieu ou sont en opposition avec elles. Et comme le désordre ne peut être vaincu que par un ordre qui ne soit pas simplement imposé et factice (tout comme l'obscurité qui, avec l'abattement et la peur qu'elle engendre, ne peut être chassée que par la lumière et non par la lueur de feux follets) ; le salut, la restauration et une amélioration progressive ne peuvent s'attendre et ne peuvent naître que d'un retour de groupements larges et influents à de justes conceptions sociales ; retour qui requiert à la fois une grâce extraordinaire de Dieu et une volonté inébranlable, disposée et prête au sacrifice, de la part d'esprits honnêtes et clairvoyants. De ces groupements plus influents et plus ouverts, capables de saisir et d'apprécier la séduisante beauté de justes lois sociales, passera et pénétrera ensuite dans les foules la conviction de l'origine véritable, divine et spirituelle, de la vie sociale, ouvrant ainsi la voie au renouveau, au progrès, à l'affermissement de ces conceptions morales, sans lesquelles les plus orgueilleuses réalisations ne représenteront qu'une tour de Babel dont les habitants, bien qu'enfermés dans une enceinte commune, parlent des langues diverses et opposées.

    Dieu, cause premiere et ultime fondement de la vie individuelle et sociale.

    De la vie individuelle et sociale, il convient de monter à Dieu, cause première et dernier fondement, en tant que Créateur de la première société conjugale, source de la société familiale, de la société des peuples et des nations. Reflétant bien qu'imparfaitement son modèle, Dieu un en trois personnes, qui, par le mystère de l'Incarnation, a racheté et exalté la nature humaine, la vie sociale, dans son idéal et dans sa fin, possède, à la lumière de la raison et de la Révélation, une autorité morale et un caractère absolu qui domine toutes les vicissitudes des temps ; elle est une force d'attraction qui, loin d'être mortifiée et amoindrie par les déceptions, les erreurs et les échecs, pousse irrésistiblement les esprits les plus nobles et les plus fidèles au Seigneur, à reprendre avec une énergie retrempée, avec de nouvelles connaissances, avec de nouvelles études et d'autres moyens et méthodes, ce qui, en d'autres temps et en d'autres circonstances, avait été vainement tenté.

    Développement et perfectionnement de la personne humaine.

    L'origine et le but essentiel de la vie sociale doit être la conservation, le développement et le perfectionnement de la personne humaine qu'elle aide à mettre correctement en oeuvre les règles et les valeurs de la religion et de la culture, assignées par le Créateur à chaque homme et à toute l'humanité, soit dans son ensemble, soit dans ses ramifications naturelles.

    Toute doctrine ou toute construction sociale qui exclut cet aspect intérieur, l'essentielle connexion avec Dieu de tout ce qui regarde l'homme ou qui seulement la néglige, fait fausse route, et, tout en construisant d'une main, prépare de l'autre les moyens qui, tôt ou tard, saperont et détruiront l'ouvrage. Quand, au mépris des égards dus à la personne et à la vie qui lui est propre, elle ne lui réserve aucune place dans son organisation, dans son activité législative et executive, loin de servir la société, elle la lèse ; loin de promouvoir et d'informer la pensée sociale, d'en réaliser les attentes et les espérances, elle lui ôte toute valeur intrinsèque en l'exploitant comme une rhétorique utilitaire, qui, dans des milieux de plus en plus nombreux, ne rencontre qu'une énergique et franche réprobation.

    Si la vie sociale comporte l'unité intérieure, elle n'exclut pas pour autant les différences qui résultent de la réalité et de la nature. Mais lorsqu'on s'attache avec fermeté au suprême Régulateur de tout ce qui regarde l'homme, Dieu, les ressemblances aussi bien que les différences entre les hommes trouvent leur place convenable dans l'ordre absolu de l'être, des valeurs, et aussi, par suite, de la moralité. Qu'au contraire, soit ébranlé ce fondement, aussitôt s'ouvre un dangereux fossé entre les divers domaines de la culture et se manifestent une incertitude et une fragilité des contours, des limites et des valeurs, en sorte que seuls les facteurs purement extérieurs et souvent aussi des instincts aveugles en viennent à dicter, suivant la tendance dominante du moment, laquelle des directions opposées doit l'emporter.

    A la funeste économie des décennies passées, durant lesquelles toute vie civile se trouvait subordonnée à l'appât du gain, succède maintenant une conception non moins nuisible qui, regardant tout, choses et personnes, sous l'aspect politique exclut toute considération morale et religieuse. Altération et fourvoiement fatals, gros de conséquences imprévisibles pour la vie sociale qui n'est jamais plus voisine de la ruine de ses plus nobles prérogatives qu'au moment où elle s'imagine pouvoir renier ou oublier impunément l'éternelle source de sa dignité : Dieu.

    La raison, éclairée par la foi, assigne dans l'organisation sociale une place déterminée et honorable à chaque individu comme à chaque société particulière. Elle sait, pour ne parler que du point le plus important, que toute l'activité politique et économique de l'Etat est ordonnée à la réalisation durable du bien commun, c'est-à-dire de ces conditions extérieures nécessaires à l'ensemble des citoyens pour le développement de leurs qualités, de leurs fonctions, de leur vie matérielle, intellectuelle et religieuse. Et cela, parce que, d'une part, les forces et les énergies de la famille et des autres organismes à qui revient une naturelle primauté, sont, à elles seules, insuffisantes, et parce que, d'autre part, la volonté salvifique de Dieu n'a pas déterminé au sein de l'Eglise une autre société universelle au service de la personne humaine et de la réalisation de ses fins religieuses.

    Dans une conception sociale, pénétrée et confirmée par la pensée religieuse, l'activité de l'économie et de toutes les autres branches de la culture forme un universel et très noble foyer d'activité très riche pour sa variété cohérente dans son harmonie, où l'égalité intellectuelle des hommes et la diversité de leurs fonctions obtiennent leur droit et trouvent leur adéquate expression. Dans le cas contraire, on déprécie le travail, on humilie l'ouvrier.

    Le statut juridique de la société et ses fins.

    Pour que la vie sociale, telle qu'elle est voulue par Dieu, atteigne son but, il est essentiel qu'un ordre juridique lui serve d'appui extérieur, de refuge et de protection. Le rôle de cet ordre n'est pas de dominer, mais de servir, de tendre à développer et à fortifier la vitalité de la société dans la riche multiplicité de ses objectifs, en dirigeant vers leur perfection toutes les énergies particulières en un pacifique concours et en les défendant par tous les moyens appropriés et honnêtes contre tout ce qui pourrait porter préjudice à leur plein épanouissement. Un tel ordre, pour garantir l'équilibre, la sécurité, l'harmonie de la société, possède aussi un pouvoir de coercition contre ceux qui ne peuvent être maintenus que par cette voie dans la noble discipline de la vie sociale. Mais, précisément, dans le juste exercice de ce droit, une autorité vraiment digne de tel nom ne pourra pas ne pas sentir une anxieuse responsabilité en face de l'éternel Juge au tribunal duquel toute sentence inique, et spécialement tout renversement des règles voulues par Dieu, recevra infailliblement sa sanction et sa condamnation.

    Les lois ultimes, profondes, lapidaires et fondamentales de la société ne peuvent être entamées par une intervention de l'esprit humain. On pourra les nier, les ignorer, les dédaigner, les violer, mais jamais les abroger avec une efficacité juridique. Sans doute, avec le temps qui passe, les conditions de vie changent aussi. Mais il ne peut jamais y avoir de lacune absolue, jamais de solution de continuité totale entre le droit d'hier et celui d'aujourd'hui, entre l'expiration des anciens pouvoirs et constitutions et l'apparition d'ordres nouveaux. De toute manière, à travers tous les changements et toutes les transformations, la fin de toute vie sociale reste identique, sacrée, obligatoire : le développement des valeurs personnelles de l'homme qui est image de Dieu. Et l'obligation demeure pour chaque membre de la famille humaine de réaliser ses fins immuables, quels que soient le législateur et l'autorité à qui il est soumis. Par conséquent, demeure aussi pour toujours sans qu'aucune opposition puisse l'abolir, le droit inaliénable de l'homme, qu'amis et ennemis doivent reconnaître, à un ordre et à une pratique juridiques, dont le devoir essentiel est de servir le bien commun.

    L'ordre juridique a, de plus, la haute et difficile tâche d'assurer la concorde, soit entre les individus, soit entre les sociétés, soit également à l'intérieur de celles-ci. Le résultat sera atteint si les législateurs s'abstiennent de suivre ces théories et ces pratiques dangereuses, néfastes à la communauté et à sa cohésion, qui tirent leur origine et leur diffusion de toute une série de postulats erronés. Au nombre de ces derniers, il faut compter le positivisme juridique, qui attribue une trompeuse majesté à l'émanation de lois purement humaines et fraye la voie à une funeste dissociation de la loi d'avec la moralité ; en outre, la conception qui revendique pour certaines nations ou classes, l'instinct juridique comme impératif souverain et comme règle sans appel ; enfin, ces théories variées qui, différentes entre elles et dérivant d'idéologies contradictoires, s'accordent pourtant à considérer l'Etat ou un groupe qui le représente comme une entité absolue et suprême, au-dessus de tout contrôle et de toute critique, alors même que ses postulats théoriques et pratiques conduisent d'une manière choquante à la négation formelle des données essentielles de la conscience humaine et chrétienne.

    Si l'on considère d'un regard clair et pénétrant la connexion vitale entre l'ordre social normal et l'ordre juridique véritable, si l'on ne perd pas de vue que l'unité interne avec sa variété de formes dépend de la prédominance de forces spirituelles, du respect de la dignité humaine en soi-même et dans les autres, de l'amour pour la société et pour les fins que Dieu lui a marquées, on ne peut pas s'étonner des tristes effets de ces conceptions juridiques qui, abandonnant la voie royale de la vérité, s'aventurent sur le terrain mouvant des postulats matérialistes ; mais on se rendra compte de l'urgente nécessité d'un retour à une conception spirituelle et morale, sérieuse et profonde, réchauffée à la chaleur d'une vraie humanité, illuminée à la splendeur de la foi chrétienne, qui fait voir dans l'ordre juridique un reflet extérieur de l'ordre social voulu de Dieu, un fruit lumineux de l'esprit humain, lui aussi image de l'esprit de Dieu.

    Sur cette conception organique, la seule vitale, dans laquelle fleurissent en harmonie la plus noble humanité et le plus pur esprit chrétien, est gravée la maxime de l'Ecriture mise en lumière par le grand saint Thomas d'Aquin : Opus iustitiae pax, qui s'applique aussi bien au côté intérieur qu'au côté extérieur de la vie sociale.

    Elle n'admet ni l'opposition ni l'alternative : l'amour ou le droit, mais la synthèse féconde : l'amour et le droit.

    Dans l'un et dans l'autre élément, double irradiation d'un même esprit de Dieu, résident le programme et le cachet de la dignité de l'esprit humain ; l'un et l'autre s'intègrent mutuellement, coopèrent, s'animent, se soutiennent, se donnent la main dans la voie de la concorde et de la pacification ; le droit fraye la route à l'amour, l'amour tempère le droit et le sublimise. Ensemble, ils font monter la vie humaine dans cette atmosphère sociale où nonobstant les déficiences, les obstacles et les duretés de cette terre, une communauté fraternelle de vie devient possible. Laissez, au contraire, l'esprit mauvais des idées matérialistes dominer, l'appétit du pouvoir et de la domination saisir dans ses mains brutales les rênes des événements, alors vous verrez apparaître chaque jour davantage les effets dissolvants, disparaître l'amour et la justice ; triste présage de catastrophes prêtes à fondre sur une société apostate de Dieu.

    2° COMMUNAUTÉ DANS LA TRANQUILITÉ

    Le second élément fondamental de la paix, où tend comme instinctivement toute société humaine, c'est la tranquillité. O bienheureuse tranquillité ! tu n'as rien de commun avec l'attachement dur et obstiné, tenace et puérilement entêté dans ce qui est ; ni avec le refus, enfant de la paresse et de l'égoïsme, qui rechigne à appliquer l'esprit aux problèmes et aux questions que l'évolution des temps et le cours des générations avec leurs besoins et leur progrès font mûrir et tirent avec soi comme d'inéluctables nécessités du présent. Mais pour un chrétien, conscient de sa responsabilité même envers le plus petit de ses frères, il n'y a pas de tranquillité paresseuse ni de fuite, mais la lutte, l'action contre toute inaction, contre toute désertion dans la grande bataille spirituelle dont l'enjeu est l'édification, ou mieux, l'âme même de la société future.

    Harmonie entre la tranquillité et l'activité.

    Tranquillité, au sens où l'entend saint Thomas, et ardeur au travail, loin de s'opposer, se joignent plutôt harmonieusement aux yeux de quiconque est convaincu de la beauté et de la nécessité d'une base spirituelle de la société et de la noblesse de son idéal. Or, c'est à vous, jeunes gens, à vous qui, volontiers, tournez le dos au passé et fixez vers l'avenir vos yeux brillants d'aspirations et d'espérances, c'est à vous, jeunes gens, que, poussé par Notre grand amour et Notre sollicitude paternelle, Nous disons : l'exubérance et l'audace, à elles seules, ne suffisent pas si elles ne sont mises, comme il faut, au service du bien et d'un drapeau sans tache.

    Vaines sont l'agitation, la fatigue, l'inquiétude, qui ne se reposent pas en Dieu et dans sa loi éternelle. Il faut que vous soyez animés par la volonté de combattre pour la vérité et de lui consacrer vos sympathies et vos énergies, vos aspirations et vos sacrifices ; de combattre pour les droits éternels de Dieu, pour la dignité de la personne humaine et pour la réalisation de ses fins. Là où des hommes mûrs et des jeunes gens, toujours ancrés dans l'océan de la tranquillité éternellement vivante de Dieu, coordonnent les diversités de leurs tempéraments et de leurs activités dans un véritable esprit chrétien, là où s'accouplent l'élément moteur et l'élément modérateur la différence naturelle entre les générations ne deviendra jamais un danger, mais elle conduira, au contraire, vigoureusement à la réalisation des lois éternelles de Dieu dans le cours changeant des temps et des conditions de vie.

    Le monde ouvrier.

    Dans un domaine particulier de la vie sociale où, durant un siècle, ont surgi des mouvements et d'âpres conflits, règne aujourd'hui le calme, du moins en apparence : dans le monde vaste et toujours grandissant du travail, dans l'immense armée des ouvriers, des salariés, des serviteurs. Si l'on considère le présent avec ses nécessités de guerre comme une donnée de fait, on pourra regarder ce calme comme une exigence nécessaire et fondée. Mais si l'on regarde la situation actuelle du point de vue de la justice d'un mouvement ouvrier légitime et ordonné, alors la tranquillité ne sera jamais qu'apparente tant que le but ne sera pas atteint.

    Toujours guidée par des motifs religieux, l'Eglise a condamné les divers systèmes du socialisme marxiste et elle les condamne encore aujourd'hui, conformément à son devoir et à son droit permanent de mettre les hommes à l'abri de courants et d'influences qui mettent en péril leur salut éternel. Mais l'Eglise ne peut pas ignorer ou ne pas voir que l'ouvrier, dans son effort pour améliorer sa situation, se heurte à tout un système qui, loin d'être conforme à la nature, est en opposition avec l'ordre de Dieu et avec la fin qu'il a assignée aux biens terrestres. Si fausses, si condamnables, si dangereuses qu'aient été et que soient les voies qu'on a suivies ; qui, et surtout quel prêtre, quel chrétien pourrait demeurer sourd au cri qui monte d'en bas et réclame, dans le monde d'un Dieu juste, justice et esprit de fraternité ? Le silence serait coupable et inexcusable devant Dieu, contraire à la doctrine éclairée de l'apôtre qui, tout en prêchant la fermeté contre l'erreur, sait en même temps qu'il faut montrer beaucoup de délicatesse envers les égarés, aller à eux le coeur ouvert pour comprendre leurs aspirations, leurs espérances, leurs raisons.

    Dieu, en bénissant nos premiers parents, leur dit : « Croissez, multipliez-vous et remplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1,28). Et au premier chef de famille il a dit ensuite : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » (Gn 3,19). La dignité de la personne humaine suppose donc normalement, comme fondement naturel pour vivre, le droit à l'usage des biens de la terre ; à ce droit correspond l'obligation fondamentale d'accorder une propriété privée autant que possible à tous. Les règles juridiques positives qui règlent la propriété privée peuvent changer et en restreindre plus ou moins l'usage ; mais si elles veulent contribuer à la pacification de la communauté, elles devront empêcher que l'ouvrier, père ou futur père de famille, soit condamné à une dépendance et à une servitude économique, inconciliable avec ses droits de personne humaine.

    Que cette servitude dérive de l'omnipotence du capital privé ou du pouvoir de l'Etat, l'effet est le même. Bien plus, sous la pression d'un Etat qui domine tout et qui règle toute la sphère de la vie publique et privée, qui pénètre jusque dans le domaine des idées, des convictions et de la conscience, ce défaut de liberté peut avoir des conséquences plus graves encore, comme l'expérience le montre et en témoigne.

    CINQ POINTS FONDAMENTAUX POUR L'ORDRE ET LA PACIFICATION DE LA SOCIÉTÉ HUMAINE

    Quiconque examine à la lumière de la raison et de la foi les fondements et les fins de la vie sociale, tels que Nous les avons brièvement exposés, et les contemple dans leur pureté, dans leur élévation morale comme dans les fruits bienfaisants qu'ils portent dans tous les domaines ne peut pas manquer d'être convaincu de la puissance de ces principes d'ordre et de pacification que des énergies tendues vers de grands idéals et résolues à affronter les obstacles pourraient offrir, disons mieux, pourraient restituer à un monde entièrement désaxé, une fois abattues les barricades intellectuelles et juridiques dressées par les préjugés, les erreurs, l'indifférence, par un long travail de laïcisation de la pensée, du sentiment et de l'action, qui a ravi et soustrait la cité terrestre à la lumière et à la force de la cité de Dieu.

    Aujourd'hui plus que jamais sonne l'heure de la réparation, l'heure de secouer la conscience du monde de la lourde torpeur dans laquelle le virus des idées fausses largement répandues l'a plongée ; d'autant plus qu'à cette heure de faillite matérielle et morale, la connaissance de la fragilité et de l'inconsistance de tout ordre purement humain en est venue à dessiller les yeux de ceux-là mêmes qui, aux jours apparemment heureux, ne sentaient pas en eux, ni dans la société, le manque de contact avec l'Eternel et ne le regardaient pas comme un vice essentiel de leurs constructions.

    Ce qui apparaissait clairement au chrétien qui, profondément croyant, souffrait de l'ignorance des autres, le fracas de l'épouvantable catastrophe du bouleversement actuel, qui revêt la terrible solennité d'un jugement universel et qui frappe jusqu'aux oreilles des plus tièdes, des plus indifférents, des plus étourdis, nous le met sous les yeux avec un éclat éblouissant. Vérité à coup sûr antique, qui se manifeste tragiquement sous des formes toujours nouvelles et retentit de siècle en siècle, de peuple en peuple, par la voix du prophète : Omnes qui te derelinquunt, confundentur : recedentes a te in terra scribentur : quoniam dereliquerunt venam aquarum viventium, Dominum, « tous ceux qui t'abandonnent seront confondus ! Ceux qui se détournent de toi seront inscrits sur la terre, car ils ont abandonné la source des eaux vives, le Seigneur » (Jr 17,13).

    Le devoir de l'heure présente n'est pas de gémir, mais d'agir. Pas de gémissements sur ce qui est ou ce qui fut ; mais reconstruction de ce qui se dressera et doit se dresser pour le bien de la société. Aux membres les meilleurs de l'élite de la chrétienté, vibrants d'un enthousiasme de Croisés, il appartient de se grouper dans l'esprit de vérité, de justice et d'amour, au cri de : Dieu le veut ! Prêts à servir et à se sacrifier comme les anciens Croisés. Il s'agissait alors de délivrer la terre sanctifiée par la vie du Verbe de Dieu incarné, il s'agit aujourd'hui, si Nous pouvons Nous exprimer ainsi, d'une nouvelle traversée, bravant la mer des erreurs du jour et du temps pour délivrer la terre sainte des âmes qui est destinée à être le soutien et le fondement des normes et des lois immuables pour des constructions sociales d'une solide consistance interne.

    En vue d'une fin si haute, de la crèche du Prince de la paix, avec la confiance que sa grâce se répande dans tous les coeurs, Nous Nous adressons à vous, chers fils, qui reconnaissez et adorez dans le Christ votre Sauveur, Nous Nous adressons à tous ceux qui Nous sont unis au moins par le lien spirituel de la foi en Dieu, à tous ceux enfin qui aspirent à se libérer des doutes et des erreurs et qui désirent ardemment une lumière et un guide. Nous vous exhortons avec toute l'insistance suppliante d'un coeur paternel, non seulement à comprendre intimement l'angoissante gravité de l'heure présente, mais aussi à en méditer les possibles aurores bienfaisantes et surnaturelles, à vous unir pour travailler tous ensemble au renouvellement de la société en esprit et en vérité.

    Le but essentiel de cette croisade nécessaire et sainte est que l'étoile de la paix, l'étoile de Bethléem, se lève de nouveau sur toute l'humanité dans son brillant éclat, dans son pacifiant réconfort, promesse et présage d'un avenir meilleur, plus fécond et plus heureux.

    Il est vrai que le chemin qui va de la nuit â un matin radieux sera long ; mais les premiers pas sont décisifs sur le sentier dont les cinq premières bornes milliaires portent, gravées par un stylet de bronze, les maximes suivantes :

    1° Dignité et droits de la personne humaine.

    Qui veut que l'étoile de la paix se lève et se repose sur la société concourt pour sa part à rendre à la personne humaine la dignité qui lui a été conférée par Dieu dès l'origine ;

    qu'il s'oppose à l'excessif rassemblement des hommes à la façon d'une masse sans âme, à leur instabilité économique, sociale, politique, intellectuelle et morale, à leur manque de principes fermes et de fortes convictions, à la surabondance d'excitations instinctives et sensibles et à leur versatilité ;

    qu'il favorise par tous les moyens licites et dans tous les domaines de la vie, les formes sociales qui rendent possible et qui garantissent une pleine responsabilité personnelle, aussi bien dans l'ordre terrestre que dans l'ordre éternel ;

    qu'il promeuve le respect et l'exercice pratique des droits fondamentaux de la personne, à savoir : le droit à maintenir et à développer la vie corporelle, intellectuelle et morale, en particulier le •droit à une formation et à une éducation religieuses ; le droit au culte de Dieu, privé et public, y compris l'action charitable religieuse ; le droit, en principe, au mariage et à l'obtention de sa fin ; le droit à la société conjugale et domestique ; le droit au travail comme moyen indispensable à l'entretien de la vie familiale ; le droit au libre choix d'un état de vie, et donc aussi de l'état sacerdotal et religieux ; le droit à l'usage des biens matériels dans la conscience des devoirs propres et des limitations aussi sociales.

    2° Défense de l'unité sociale et en particulier de la famille.

    Qui veut que l'étoile de la paix se lève et se repose sur la société rejette toute forme de matérialisme qui ne voit dans le peuple qu'un troupeau d'individus séparés et sans cohésion interne, considérés comme matière à posséder et à gouverner ;

    qu'il cherche à comprendre la société comme une unité interne, grandie et mûrie sous la conduite de la Providence, unité qui, dans les limites à elle asssignées et suivant ses caractères particuliers, tend, grâce à la collaboration des diverses classes et professions, aux éternels et toujours nouveaux objectifs de la culture et de la religion ;

    qu'il défende l'indissolubilité du mariage, qu'il procure à la famille, cellule irremplaçable du peuple, espace, lumière, repos, afin qu'elle puisse remplir sa mission de transmettre une nouvelle vie et d'élever les enfants dans un esprit conforme à ses convictions religieuses personnelles et vraies, qu'il conserve, renforce ou reconstitue, dans la mesure de ses forces, sa propre unité économique, spirituelle, morale et juridique ; qu'il prenne soin de faire participer aussi les domestiques aux avantages matériels et spirituels de la famille, qu'il pense à procurer à chaque famille un foyer où la vie familiale, matériellement et spirituellement saine, réussisse à se manifester dans sa vigueur et dans sa valeur, qu'il veille à ce que les lieux du travail et les habitations ne soient pas tellement distants que le chef de famille, éducateur des enfants, en vienne à se trouver presque étranger à sa propre maison, qu'il veille par-dessus tout à faire renaître entre l'école publique et la famille ce lien de confiance et d'aide mutuelle qui a porté, en d'autres temps, de si heureux fruits et qui se trouve aujourd'hui remplacé par la défiance là où l'école, sous l'influence ou sous la pression de l'esprit matérialiste, empoisonne et détruit ce que les parents avaient mis au coeur des enfants.

    3° Dignité et prérogatives du travail.

    Qui veut que l'étoile de la paix se lève et se repose sur la société donne au travail la place que Dieu lui a marquée dès l'origine. Comme moyen indispensable de possession du monde, que Dieu a voulu pour sa gloire, tout travail possède une dignité inaliénable et, en même temps, un lien étroit avec le perfectionnement personnel ; noble dignité et prérogative du travail, que ne déprime ni la peine ni le fardeau qu'il faut accepter comme conséquence du péché originel, en esprit d'obéissance et de soumission à la volonté de Dieu.

    Qui connaît les grandes encycliques de Nos prédécesseurs et Nos précédents messages sait que l'Eglise n'hésite pas à tirer les conclusions pratiques qui dérivent de la noblesse morale du travail et à les appuyer de tout le poids de son autorité. Ces exigences comprennent, outre un juste salaire suffisant aux nécessités de l'ouvrier et de sa famille, la conservation et le perfectionnement d'un ordre social qui rende possible et assurée, si modeste qu'elle soit, une propriété privée à toutes les classes de la société, qui favorise une formation supérieure pour les enfants des classes ouvrières spécialement doués d'intelligence et de bonne volonté, qui encourage le zèle et l'exercice pratique de l'esprit social dans le voisinage, dans le village, dans la province, dans le peuple et dans la nation, qui, atténuant les heurts d'intérêts et de classes, ôte aux ouvriers l'impression d'être tenus à l'écart et leur procure l'expérience réconfortante d'une solidarité véritablement humaine et chrétiennement fraternelle.

    Le progrès et le degré des réformes sociales de première urgence dépendent de la puissance économique de chaque nation. Seul un intelligent et généreux échange des forces entre puissants et faibles permettra d'accomplir une pacification universelle qui ne laisse pas couver les foyers d'incendie et d'infection, d'où puissent surgir de nouvelles calamités.

    Des signes évidents donnent à penser que dans cette fermentation de tous les préjugés et ces sentiments de haine, inévitable mais douloureux fruit de cette psychose aiguë de guerre, la conscience n'est pas éteinte au sein des peuples de leur intime et réciproque dépendance pour le bien comme pour le mal, et même qu'elle est devenue plus vive et plus active. N'est-il pas vrai que des penseurs profonds voient de plus en plus clairement, dans le renoncement à l'égoïsme et à l'isolement national, le chemin du salut commun, et se montrent disposés à demander à leurs peuples une lourde part des sacrifices nécessaires à la pacification sociale dans d'autres peuples ? Puisse Notre message de Noël, qui s'adresse à toutes les bonnes volontés, à tous les coeurs généreux, encourager et grossir les troupes de la croisade sociale parmi toutes les nations ! Veuille Dieu donner à leurs pacifiques drapeaux la victoire que mérite leur noble entreprise.

    4° Reconstitution de l'ordre juridique.

    Qui veut que l'étoile de la paix se lève et se repose sur la vie sociale collabore à une reconstitution profonde de l'ordre juridique.

    Le sens juridique d'aujourd'hui est souvent altéré et vicié par la proclamation et par la pratique d'un positivisme et d'un utilitarisme partisans et inféodés au service de certains groupes, classes et mouvements, dont les programmes tracent et prescrivent la voie à la législation et à la jurisprudence.

    L'assainissement de cette situation peut être obtenu dès que se réveille la conscience d'un ordre juridique reposant sur le souverain 'domaine de Dieu et défendue contre tout arbitraire humain, conscience d'un ordre dont le bras protecteur et justicier s'étend aussi sur les droits imprescriptibles de l'homme et les protège contre les attaques de tout pouvoir humain.

    De l'ordre juridique voulu par Dieu découle l'inaliénable droit de l'homme à la sécurité juridique et, par le fait même, à une sphère concrète de droit, défendue contre toute attaque arbitraire.

    Les rapports de l'homme avec l'homme, de l'individu avec la société et l'autorité, ses devoirs civiques, les rapports de la société et de l'autorité avec les particuliers doivent être appuyés sur un fondement juridique clair et protégés au besoin par l'autorité judiciaire.

    Ce qui suppose :

    a) un tribunal et un juge qui prennent leurs directives dans un droit clairement formulé et délimité ;

    b) des normes juridiques claires qui ne puissent être éludées par des appels abusifs à un prétendu sentiment populaire ou par de pures raisons d'utilité ;

    c) la reconnaissance de ce principe que l'Etat lui-même, les fonctionnaires et les organisations qui relèvent de lui, sont tenus à la réparation et au retrait des mesures préjudiciables à la liberté, à la propriété, à l'honneur, au progrès et à la santé des particuliers.

    5° Conception chrétienne de l'Etat.

    Qui veut que l'étoile de la paix se lève et se repose sur la société humaine collabore à l'éveil d'une conception et d'une pratique de l'Etat fondées sur une discipline rationnelle, sur un sens humain élevé, sur la conscience chrétienne de la responsabilité ;

    qu'il aide à ramener l'Etat et sa puissance au service de la société, au respect absolu de la personne humaine et de son activité pour l'obtention de ses fins éternelles ;

    qu'il s'efforce et s'emploie à dissiper les erreurs qui tendent à détourner l'Etat et son pouvoir du sentier de la morale et à le dégager du lien éminemment moral qui les relie à la vie individuelle et sociale et à leur faire renier ou pratiquement ignorer sa relation essentielle de dépendance à l'égard du Créateur ;

    qu'il promeuve la reconnaissance et la propagation de la vérité, qui enseigne que, même dans l'ordre temporel, le sens profond, l'ultime règle morale et la légitimité universelle du regnare consiste à servir.

    CONSIDÉRATIONS SUR LA GUERRE MONDIALE ET SUR LE RENOUVELLEMENT DE LA SOCIÉTÉ

    Chers fils ! Dieu veuille qu'en cet instant où Notre voix parvient à votre oreille, votre coeur soit profondément touché et ému de la gravité profonde, de l'ardente sollicitude, de l'insistance suppliante avec lesquelles Nous vous inculquons ces pensées qui veulent être un appel à la conscience universelle, un cri de ralliement pour tous ceux qui entendent peser et mesurer la grandeur de leur mission et de leur responsabilité à l'ampleur de l'universelle désolation.

    Une grande partie de l'humanité, et, Nous ne craignons pas de le déclarer, un grand nombre même de ceux qui se disent chrétiens, partagent en quelque façon leur part de la responsabilité collective du développement des erreurs, des maux et du manque d'élévation morale de la société actuelle.

    Cette guerre mondiale, avec tout ce qui s'y rattache, qu'il s'agisse de ses causes lointaines ou proches, ou de son déroulement et de ses effets matériels, juridiques et moraux, que signifie-t-elle d'autre que la faillite inattendue peut-être des esprits superficiels, mais prévue et redoutée par tous ceux dont le regard pénétrait à fond un ordre social qui, derrière un décor trompeur ou sous un masque de formules conventionnelles, cachait sa faiblesse fatale et son instinct effréné de lucre et de puissance ?

    Tout ce qui en temps de paix demeurait comprimé a éclaté dès le déchaînement de la guerre en une lamentable série d'actes en opposition avec l'esprit humain et l'esprit chrétien. Les conventions internationales, dont l'objet était de rendre la guerre moins inhumaine en la limitant aux combattants, de déterminer les lois de l'occupation et de la captivité des vaincus, sont, en maints endroits, restées lettre morte ; et qui peut prévoir la fin de cette progressive aggravation ?

    Les peuples veulent-ils donc demeurer témoins inactifs d'un si désastreux progrès ? Ou ne faut-il pas plutôt que, sur les ruines d'un ordre public qui a donné les preuves si tragiques de son incapacité à procurer le bien du peuple, s'unissent tous les coeurs droits et magnanimes dans le voeu solennel de ne s'accorder aucun repos jusqu'à ce que, dans tous les peuples et toutes les nations de la terre, devienne légion la troupe de ceux qui, décidés à ramener la société à l'inébranlable centre de gravitation de la loi divine aspirent à se dévouer au service de la personne humaine et de la communauté ennoblie par Dieu ?

    Ce voeu, l'humanité le doit aux innombrables morts tombés sur les champs de bataille ; le sacrifice de leur vie dans l'accomplissement de leur devoir est l'holocauste offert pour un nouvel ordre social meilleur.

    Ce voeu, l'humanité le doit à la multitude infinie et douloureuse de mères, de veuves, d'orphelins, qui se sont vu arracher la lumière, la force et le soutien de leur vie.

    Ce voeu, l'humanité le doit aux innombrables exilés que l'ouragan de la guerre a transplantés hors de leur patrie et dispersés en terre étrangère et qui pourraient faire leur la plainte du prophète : Hereditas nostra versa est ad alienos, domus nostrae ad extraneos, « notre héritage a passé à des étrangers, nos maisons à des inconnus » (Lm 5,2).

    Ce voeu, l'humanité le doit aux centaines de milliers de personnes, qui, sans aucune faute de leur part, et parfois pour le seul fait de leur nationalité ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive.

    Ce voeu, l'humanité le doit aux milliers et milliers de non-combattants, femmes, enfants, infirmes, vieillards, auxquels la guerre aérienne — dont Nous avons déjà depuis le début dénoncé maintes fois les horreurs — a, sans discernement ou sans y regarder d'assez près, enlevé la vie, les biens, la santé, les maisons, les asiles de la charité et de la prière.

    Ce voeu, l'humanité le doit au fleuve de larmes et d'amertumes, à l'accumulation de douleurs et de tourments causés par la ruine meurtrière de l'horrible conflit qui crient vers le ciel, implorant le Saint-Esprit de venir délivrer le monde du débordement de la violence et de la terreur.

    INVOCATION AU RÉDEMPTEUR DU MONDE

    Où pourriez-vous donc déposer ce voeu pour la restauration de la société avec plus de tranquille et de confiante assurance et avec une foi plus efficace, qu'aux pieds du « Désiré de toutes les nations » couché devant nous en sa crèche, avec tout le charme de sa douce humanité de petit enfant et, en même temps, avec tout l'émouvant attrait de sa mission rédemptrice qui commence ? En quel lieu cette noble et sainte croisade pour la purification et le renouvellement de la société pourrait-elle trouver sa plus expressive consécration et son stimulant le plus efficace, sinon à Bethléem où, dans l'adorable mystère de l'Incarnation, se révéla le nouvel Adam, aux sources de vérité et de grâce de qui de toutes manières l'humanité doit venir chercher l'eau salutaire si elle ne veut pas périr dans le désert de cette vie ? De plenitudine eius nos omnes accepimus, « nous avons tous reçu du débordement de sa plénitude» (Jn 1,16). Sa plénitude de vérité et de grâce, aujourd'hui comme depuis vingt siècles, déborde sur le monde avec une force qui n'est pas diminuée ; sa lumière est plus puissante que les ténèbres, le rayon de son amour plus fort que le glacial égoïsme qui empêche tant d'hommes de grandir et de faire dominer ce qu'il y a de meilleur en eux. Vous, Croisés volontaires d'une nouvelle et noble société, levez le nouveau labarum de la régénération morale et chrétienne, déclarez la guerre aux ténèbres d'un monde séparé de Dieu, à la froideur de la discorde entre frères, déclarez la guerre au nom d'une humanité gravement malade et qu'il faut guérir au nom d'une conscience chrétienne rehaussée.

    Que Notre bénédiction, Nos souhaits paternels et Nos encouragements accompagnent votre généreuse entreprise et demeurent sur tous ceux qui ne reculent pas devant de durs sacrifices qui sont armes plus puissantes que le fer contre le mal dont souffre la société ! Que sur votre croisade pour un idéal social, humain et chrétien, resplendisse, consolatrice et entraînante, l'étoile qui brille sur la grotte de Bethléem, astre augurai et immortel de l'ère chrétienne ! A sa vue, tous les coeurs fidèles ont puisé, puisent et puiseront la force : Si consistant adversum me castra, in hoc ego sperabo, « quand toutes les armées se dresseraient contre moi, j'espérerai en lui » (Ps 26,3). Là où resplendit l'étoile, là est le Christ : Ipso ducente, non errabimus ; per ipsum ad ipsum eamus, ut cum nato hodie puero in perpetuum gaudeamus, « sous sa conduite, nous ne nous égarerons pas ; par lui, allons à lui pour nous réjouir éternellement avec l'Enfant né aujourd'hui ».