« Croix plantée sur nos chemins, bois fleuri du sang versé, sauve en nous l'espoir blessé »
Ce chant d'entrée exprime bien le sens de la fête de ce jour. Dans la lumière du matin de Pâques, la Croix vénérée dans le climat tragique mais sereine du Vendredi Saint, est glorieuse, elle est triomphante. Elle rayonne aux quatre sens de l'horizon, pour tous les temps et toutes les cultures. Comme un bourgeon empli de promesses, elle fait fleurir le salut, elle fait éclater le mystère de notre salut.
La date du 14 septembre pourrait paraître un peu contingente ou artificielle. C'est celle de la découverte des reliques de la Croix par sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin, en 325, il y a 1683 ans. Elle y a fondé la première basilique édifiée sur le Golgotha et le tombeau, le Saint-Sépulcre ou, selon l'expression orientale, la basilique de la Résurrection. Le tombeau n'est pas loin du Golgotha, à peine 150 m. Le triomphe de la Vie n'est pas loin du désastre de la mort.
C'est bien ce qui est déjà annoncé, comme en filigrane, dans la première lecture. Nous y découvrons les Hébreux au désert, entre leur libération de l'esclavage d'Egypte et l'entrée en Terre promise, 40 ans plus tard. A plusieurs reprises, la mort les guette : la faim, la soif, ici, la morsure des serpents. A chacune de ses épreuves est la tentation d'une révolte et ensuite la manifestation du secours de Dieu. A la faim, Dieu oppose l'abondance de la manne et des cailles. A la soif, Dieu fait surgir l'eau du rocher. Aux morsures des serpents, Dieu élève un trophée où l'ennemi lui-même recule. Le trophée est précisément ce lieu de mémorial où, au coeur de la bataille, l'ennemi a tourné les talons. Le serpent de bronze élevé dans le désert devient le mémorial de l'action de Dieu, le témoin du salut. Dieu agit en faveur de son peuple. Celui qui regarde ce mémorial est guéri.
Cette page du livre des Nombres nous fait introduit à la fête de ce jour. Nous regardons la Croix, le mémorial de notre salut. La Croix triomphante, celle où le Christ s'abaisse jusqu'à la mort et cette mort-là, celle où le Christ est élevé pour que le monde soit sauvé. Dans la liturgie du Vendredi Saint, le prêtre nous présente la Croix en disant : « Voici le bois de la Croix qui a sauvé le salut du monde ».
Une antique et pieuse tradition avait pensé que, dans le jardin du Paradis, le même arbre avait fourni le fruit de la connaissance du bien et du mal, donc le fruit défendu, et l'arbre de la Croix. Encore aujourd'hui, on trouve à Jérusalem le sanctuaire qui abrite cet arbre. Derrière cette tradition, la réalité spirituelle est profondément cohérente avec la fête de ce jour. Comme un gant qui est retourné, ce qui apportait la mort devient une source jaillissante de vie. Les blessures apportent le salut. La honte devient motif de fierté. Le scandale fonde la sagesse. Nos crucifix sont quelquefois témoin de ce retournement : on ne sait s’il représentent le Christ mourant ou ressuscitant. Le crucifix de saint Damien, celui qui a parlé au jeune François d'Assise, nous présente un Christ debout, les yeux ouverts, dont on ne saurait dire s'il meurt sur la Croix ou s'il se lève du tombeau. C'est tout un, comme nous allons le redire dans un instant après la consécration : « nous proclamons ta mort, Seigneur ressuscité et nous attendons que tu viennes ».
Vous comme moi, nous portons une croix autour du cou, apparente ou non. Le pape Benoît XVI le disait aux jeunes réunis devant Notre Dame vendredi soir : « ce n'est pas un ornement, ni un bijou. C'est le symbole précieux de notre foi, le signe visible et matériel de notre ralliement au Christ... Pour les chrétiens, la Croix symbolise la sagesse de Dieu et son amour infini révélé dans le don salvifique du Christ mort et ressuscité pour la vie du monde, pour la vie de chacun et chacune d'entre vous en particulier ». Il m'a aimé et c'est livré pour moi, précise saint Paul. La Croix, chacune de nos croix celles de nos maisons, celles de nos chaînes, nous le rappelle sans cesse. Porter la Croix suppose d'y conformer sa vie à la suite du Christ. Porter la Croix suppose d'accueillir une Vie qui triomphe de la mort, malgré les apparences. Porter la Croix suppose d'espérer quand la souffrance, la maladie, le deuil, la misère, la violence, l'injustice nous éprouvent. Porter la Croix implique de d'accueillir celui qui en fait son trône. Nous allons l'accueillir sur le trône de cet autel, sur le trône de nos mains ou de nos lèvres dans un instant. En nous, la Vie va triompher de la mort. En nous le Roi blessé va nous guérir. Présentons-lui toutes nos blessures.