Ce n’est pas un scoop, contrairement à la finale du film en question. Décidément non, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Vous et moi en faisons l’expérience quotidienne. Les vacances ont pu nous le faire oublier un temps, mais la réalité de nos vies est là pour nous le rappeler. Nos vies telles qu’elles sont, vies familiales, vies professionnelles, vie sociale au sens large du terme, sans compter les drames du monde qui arrivent chez nous chaque soir à 20h. Nous pourrions rêver autre chose, mais la réalité est là, rude et éprouvante à certains moments.
La foi se présente à nous d’une façon curieuse par rapport à cette vie. D’un côté, le Seigneur nous invite à venir à lui, à nous reposer en lui, à nous décharger en lui de toutes nos peines, de tous nos soucis, de toutes nos épreuves. Et l’espérance que les miracles qu’il fait dans l’Evangile ne sont pas des moindres. Après tous, il guérit, libère, console et restaure une humanité blessée qui lui crie de venir à son secours, et non sans résultat.
D’un autre côté, il y a l’Evangile d’aujourd’hui. Si nous voulons être son disciple, il faut prendre notre croix et le suivre, là où il va, c'est-à-dire traversant la souffrance et la passion, jusqu’à la mort et la mort de cette croix infamante. Saint Pierre n’est pas en reste du côté de l’incompréhension. Suivre un Messie triomphant, le Fils de l’Homme qui vient de la fin des temps pour sauver et restaurer toute l’humanité blessée, voilà qui est bien enthousiasmant. Mais suivre le Messie souffrant, celui qui descend dans ces profondeurs dont nous souhaiterions bien être délivrés, voilà qui est bien déconcertant. Comme peut-on suivre celui qui, à vue humaine, va perdre ? Comme peut-on suivre cet homme qui annonce qu’il va à l’échec de sa mission, démentant ainsi tant et tant d’espoirs humains mis en lui. Ces paroles sont dures, qui peut les comprendre, précisera l’évangéliste Saint Jean, ajoutant que beaucoup le quitteront, cessant justement de le suivre.
Ce dimanche, il nous faut entendre que la suite du Christ n’est pas confortable. Pour deux raisons. Elle n’est pas confortable parce que c’est bien un Messie souffrant qui nous sauve. Souffrant, défiguré, réduit à l’impuissance sur la Croix. C’est le mystère pascal qui nous sauve. La prédication de Jésus nous y prépare. Les miracles viennent susciter notre foi au Maître de la vie. Mais ultimement, c’est le mystère pascal qui nous sauve. Et cela nous est rappelé par nos crucifix. Ils sont le rappel permanents de ce qu’il y a de fou dans le monde, comme dit Saint Paul. Nous sommes sauvés par ce Fils de Dieu qui a à ce point partagé les méandres de nos existences humaines, sauf le péché, qu’il descend jusqu’à l’impasse de la vie humaine, cette mort là. L’esthétique et l’histoire de l’art nous montrera des Christ romans ou des Christ baroques, des Christs mourant ou des Christ morts, mais toujours le rappel de ce qu’il y a d’incontournable, nous demandant de lever les yeux vers celui qui a été transpercé.
Mais la suite du Christ n’est pas confortable pour une seconde raison. Il s’agit de le suivre dans ce chemin. Il le dit lui-même : porter soi-même sa propre croix, ou encore renoncer à sa vie, à son propre confort, à son amour propre, à sa volonté propre. C’est donc qu’il nous entraîne dans ce chemin qui n’est pas confortable pour lui-même. C’est qu’il y a une fécondité à donner et à se donner. Il y a une vraie fécondité à accepter ce travail de dépouillement, de conversion, comme chaque Carême nous le rappelle. Il y a également, et c’est sans doute le plus difficile à entendre, une fécondité à espérer de nos souffrances, de nos épreuves, tant qu’elles sont vécues avec lui. Je ne dis pas de les chercher, mais de les vivre avec lui.
Un psaume affirme : dans ta lumière, nous voyons la lumière. En le paraphrasant, on peut dire : dans ta souffrance, nous voyons nos souffrances. Si ton mystère sauve nos vies, il sauvera tout de nos vies, parce que tout a été assumé. Certes la vie n’est pas un long fleuve tranquille, mais par Lui, avec Lui et en Lui, nous savons que nous ne sommes plus seuls, et nous portons sur nos vies et sur celles des autres, le regard que le Dieu plein d’amour et de vérité porte.