Je ne sais pas si les Bourguignons ont le pied marin, mais les Hébreux, non. Pas seulement pour des raisons de géographie physique : pas de poisson dans la Mer Morte ; un lac de Galilée qui peut être violent à certains moments de la journée ; une Méditerranée incertaine la moitié de l'année. Le psaume s'en faisait l'écho : ils étaient malades à rendre l'âme.
Pour le peuple biblique, l'eau, la mer sont des éléments inquiétants. Les animaux qui l'habitent sont une manière de parler des monstres spirituels qui l'environnent. Bref, l'eau c'est la mort. Celle qui rôde sournoisement. Celle dont la terre est séparé par la tenture des firmaments, en craignant non pas que le Ciel vous tombe sur la tête, mais plutôt que les eaux d'en haut ne se déchaîne et engloutisse à nouveau la terre. L'eau, la mer, le vent, la tempête déchaînent cette peur viscérale : nous allons mourir. Elle amènent un doute : cela ne te fait rien ?
« Nous allons mourir. Cela ne te fait rien ? » Vous avez reconnu cette interpellation violente des apôtres au Christ. Au milieu du lac, le soir étant venu, la barque rencontre cette mini-tempête connue des pécheurs, connue mais violente tout de même. Les vagues la menace, le naufrage est proche. Nous allons mourir et Jésus semble indifférent.
Nous aurions vite fait, parce que nous connaissons l'issue, de traiter avec un sourire amusé la peur de ces disciples. Les pauvres, ils manquent de foi ! Et pourtant, ils veulent vivre ! Comme le fils prodigue qui crève de faim loin de chez son père, ils expriment un besoin vital : nous voulons vivre ! Nous ne sommes pas faits pour la mort ! De cela, le Seigneur ne peut être indifférent, lui qui a créé l'homme pour la vie. La vie de l'homme c'est la gloire de Dieu, dit saint Irénée.
Lieu de la mort, l'eau est aussi le lieu d'un déchaînement, d'un chaos et d'un désordre, alors même que Dieu met constamment de l'ordre dans la création. C'est là que la suite prend toute son signification : Jésus se réveille, se dresse. Il parle et commande au vent et à la mer : Silence, tais-toi. Le miracle se fait dans l'instant, comme nous aurions aimé être là. Comme aux jours de la création où Dieu sépare les eaux d'en haut des eaux d'en bas, les eaux de la mer en leur donnant une limite à ne pas franchir ; comme aux jours de Noé, il y commande aux eaux pendant 40 jours, puis les fait s'arrêter ; comme aux jours de Moïse en dressant des murailles d'eaux à gauche et à droite du peuple, en soufflant un violent vent d'est. Dieu est le maître de la création. Il est puissant et souverain. Il commande et les eaux de la mort lui obéissent. Maître donc. Maître de la vie et de la mort. Regardez même les termes : ils se réveille. Un autre évangéliste, dit qu'il se dresse. Deux verbes très concret qui sont deux images de la résurrection pour une langue qui ne connaît pas cette réalité. Dans cette barque, il y a déjà le Ressuscité du matin de Pâques qui est vainqueur et manifeste la victoire sur tout mort. Non il n'est pas indifférent. Comme dit le psaume, il ne dort pas, ne sommeille pas le gardien d'Israël
Pourtant, reste une question : Jésus dort dans la barque. Saint Augustin a une homélie qui s'interroge fortement sur cette réalité : pourquoi Jésus dort-il à ce moment dramatique où tout semble engloutir le disciple. Jésus dort en toi, parce que tu ne l'as pas réveillé. Jésus dort en toi au moment où les assauts de la mort et du péché t'assaille, parce que tu ne l'a pas réveillé. Tu n'as pas encore crié vers lui ; tu ne lui a pas encore laissé la possibilité de dominer en toi sur ces forces de la mort et du péché.
Réveille-le et écoute sa parole, comme les vents et la mer l'écoute et lui obéissent parce qu'il est le Maître. Réveille le en rappelant son souvenir, le souvenir de ses paroles et de ses actions. Souviens-toi de lui et pense à lui, insiste saint Augustin.
Les barques de nos existences nous font aborder des mers plus ou moins changeantes, plus ou moins rassurantes, plus ou moins dangereuses. C'est une évidence. Les tempêtes extérieures sont là. Elles ne sont pas moins violentes que nos tempêtes intérieures. Il n'est pas indifférent de découvrir que, quoi qu'il arrive, Dieu est présent. Il est là, au fond de la barque, ne violentant pas notre liberté. Dieu est là et je ne le savais pas, dit Jacob que sortir de son songe. J'avais même oublié que sa simple présence pouvait être une douce consolation. Du Seigneur, nous attendrons aisément de lui qu'il domine la mort, le mal et les tempêtes qui semblent nous engloutir. Si ce n'est pas le cas, nous nous réjouirons déjà qu'il soit présent avec nous, au fond de la barque. Il est avec nous, le Seigneur de l'univers.
Avec cet Evangile (Jn 19, 31-37), nous sommes avec Jésus en Croix et ce côté ouvert dans le geste prophétique de ce soldat. Un homme en croix. Des mains cloués. Celles-là même qui avaient guéri les malades, consolé les affligés, multiplié les pains. Des pieds réduits à l'inactivité. Ceux-là même qui avaient marché sur les eaux, qui avaient parcouru les villages de Galilée, les routes de Samarie, les rues de Jérusalem. Une bouche muette : celle qui avait enseigné, expulsé des démons, pardonné les péchés. L'homme en croix est désespérément immobile, apparemment inactif. Une oreille attentive a entendu qu'il remettait sa vie entre les mains du Père. L'instant d'après, il est mort. Le coeur s'est arrêté de battre. C'est fini : tout est accompli.
L'Année sacerdotale veut contribuer à promouvoir un engagement de renouveau intérieur de tous les prêtres afin de rendre plus incisif et plus vigoureux leur témoignage évangélique dans le monde d'aujourd'hui. Le Sacerdoce, c'est l'amour du cœur de Jésus, avait coutume de dire le Saint Curé d'Ars. Cette expression touchante nous permet avant tout d'évoquer avec tendresse et reconnaissance l'immense don que sont les prêtres non seulement pour l'Eglise, mais aussi pour l'humanité elle-même. Je pense à tous ces prêtres qui présentent aux fidèles chrétiens et au monde entier l'offrande humble et quotidienne des paroles et des gestes du Christ, s'efforçant de lui donner leur adhésion par leurs pensées, leur volonté, leurs sentiments et le style de toute leur existence. Comment ne pas mettre en évidence leurs labeurs apostoliques, leur service inlassable et caché, leur charité ouverte à l'universel ? Et que dire de la courageuse fidélité de tant de prêtres qui, bien que confrontés à des difficultés et à des incompréhensions, restent fidèles à leur vocation, celle d'amis du Christ, qui ont reçu de lui un appel particulier, ont été choisis et envoyés ?
Message du Cardinal Cláudio Hummes, Archevêque émérite de Sao Paulo, Préfet de la Congrégation pour le Clergé à l'occasion de l'ouverture de l'année sacerdotale 2009/2010