« Il était environ midi. Arrive une femme qui venait puiser de l’eau »
La voici donc, cette femme de Samarie. Le voici donc ce dialogue qui nous fait entendre la révélation que le Christ fait de lui-même à cette femme. Elle venait chercher de l’eau. Il l’abreuve de l’eau vive de la foi. Il se présente comme le Messie. Elle le reconnaît.
Nous pourrions regarder Jésus fatigué par la route, s’asseyant au soleil de midi sur la margelle, comme il s’asseyera sur le trône de la Croix à une autre heure de midi. Pour l’heure, regardons cette femme qui vient à la rencontre du Christ. Réécoutons le récit de cette rencontre en trois temps.
Premier temps. Elle arrive. Elle arrive à une heure improbable (qui vient chercher de l’eau à l’heure la plus chaude de la journée ?). Elle arrive avec une attitude presque désinvolte (toi, qui es juif tu me demandes à boire à moi une samaritaine). Elle arrive avec son bon sens (tu veux me donner à boire, tu n’as rien pour puiser). Elle arrive enfin avec toute son histoire personnelle. Il faut écouter comment, le Christ traverse patiemment les résistances et l’ironie que cette femme met dans un dialogue dont elle se protège. Dès la première question (donne-moi à boire), il lui fait la mendicité. Mais peu à peu, il l’amène au centre d’elle-même et de sa situation.
C’est le deuxième temps. Par une question toute simple (appelle ton mari), il lui révèle son péché (je n’en ai pas. Tu as raison : tu en as eu cinq et celui-ci n’est pas ton mari). Elle a eu cinq maris, elle la Samaritaine dont les ancêtres ont adoré le Dieu Baal, l’époux qui donne la fertilité à la terre. Elle a eu cinq maris, elle la Samaritaine dont le peuple a voulu rester fidèle aux seuls 5 livres de la loi donnés à Moïse. Elle a eu 5 époux et le 6ème est comme le reproche vivant de son péché.
Et à partir de ce moment du dialogue, tout change, parce qu’elle s’ouvre peu à peu à la vérité de cet homme qui lui révèle à la fois son péché et plus tard son désir. le Seigneur Jésus montre à cette femme comment elle est connue de Dieu et comment elle désire Dieu. Voilà qui la retourne, au point qu’elle dira aux siens : « venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? ».
N’anticipons pas, parce qu’il y a le troisième temps. Mais ce péché révélé n’est qu’une étape dans le dialogue. C’est son plus profond désir qui peut enfin pointer, comme les braises sous la cendre, comme l’eau sous le rocher. Le Christ lui fait le don merveilleux de la foi qui monte en elle : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorez le Père. L’heure vient où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Elle se découvre désirant adorer le Père en esprit et en vérité. Le voilà le don de la foi. Elle découvre en elle qu’elle veut ce que le Christ lui présente. Elle désire ce que le Christ lui donne à connaître. La suite du dialogue est sans équivoque : quand le Messie viendra, il nous fera connaître toutes choses. Je le suis moi qui te parles.
Tout est dit. Nous voudrions entendre le long silence qui suit, nous voudrions croiser cet échange de regard. Imaginons ce que cette femme a pu laisser monter en elle au moment même (et c’est la seule fois dans tout l’Evangile) où le Christ se dévoile ouvertement comme le Messie. Admirable silence de l’Evangile où nous pouvons comme nous y glisser, nous pouvons y placer notre propre confession de foi, à condition de laisser le Christ révéler notre péché et qu’il étanche une soif qu’il suscite en nous.
Cette révélation de notre péché nous est peut-être familier. Encore faut-il nous y livrer loyalement et humblement dans ce Carême où nous sommes entrés en faisant publiquement profession de pénitence. Les cendres sur notre front ont été peut-être vite nettoyées, mais il nous faut garder au cette disposition du cœur de nous convertir.
L’autre aspect est le don la foi que le Christ suscite en nous et qu’il étanche dans le même moment. Si nous mesurons devant Lui à quel point nous sommes une terre altérée, aride, sans eau, des citernes lézardées qui laissent s’écouler leur trésor, alors Lui-même éveillera notre foi, il nous donnera l’eau vive gratuitement sans rien payer. L’eau vive qui sort éternellement de son côté nous abreuve, elle nous nourrit, elle nous porte. Si en ce jour, nous pouvions toucher à quel point notre existence dépend radicalement et essentiellement de lui, la source d’eau vive, alors plus rien n’aurait prise sur nos cœurs et nos esprits tortueux et rebelles, compliqués et malades. Nos petites rebellions, nos ironies, nos désinvoltures, même nos résistances fondraient comme neige au soleil, dès lors que nous confesserons notre péché et notre foi : Seigneur, Jésus, fils du Dieu vivant, prends pitié de moi pécheur. Je viens à toi Jésus, toi la source d’eau vive. Je viens vers toi Jésus, toi qui es doux et humble de cœur. Je viens puiser l’eau de l’Esprit à l’unique Source. Il est midi, je viens vers Toi.